"Positif", une référence sur l’histoire du cinéma

par Samuel Blumenfeld

La Lettre AFC n°211a

Le Monde, 17 juillet 2011

Depuis sa création en 1952, l’un des signes particuliers de la revue Positif, lieu majeur, avec les Cahiers du cinéma, de la cinéphilie en France, a été l’entretien. Ce genre journalistique est devenu et reste l’une des qualités majeures d’une revue qui, par le travail investi dans la préparation des interviews, la qualité des questions, la volonté de se donner de l’espace, et le choix toujours pertinent de ses interlocuteurs, sachant dénicher les talents sans suivre les modes, a su rapidement s’imposer comme une référence pour les historiens du cinéma.

Le numéro hors série de la revue intitulé comme il se doit Les grands entretiens. Décennies 70 et 80 propose un échantillon des réalisateurs interrogés durant cette période, qu’il s’agisse de maîtres reconnus comme Luis Buñuel, John Huston, Dino Risi, Alain Resnais, Francesco Rosi, Maurice Pialat, Michelangelo Antonioni, Andreï Tarkovski, Andrzej Wajda, John Boorman ou Federico Fellini, ou de metteurs en scène, en particulier américains, révélés durant cette période et qui allaient bouleverser le paysage cinématographique dans les années 1970. L’accueil réservé en France à ces derniers à leurs débuts ne fut pas toujours enthousiaste, les journalistes ne se bousculant pas toujours pour les interroger, ce qui rend d’autant plus précieux le travail effectué par Positif. Parmi ces metteurs en scène, Martin Scorsese, Francis Coppola, Robert Altman, Michael Cimino, Clint Eastwood, Woody Allen ou Terrence Malick.

Positif propose l’une des trois interviews jamais données par le réalisateur de la Palme d’or du dernier Festival de Cannes, Tree of Life, entretien réalisé en 1975 à l’occasion de la sortie de son premier film, La Balade sauvage, et qui reste, de très loin, la plus approfondie jamais réalisée avec un réalisateur connu pour son absolu goût du secret. Malick livre ici les clés de son œuvre à venir, des Moissons du ciel à Tree of Life, détaillant ses influences - George Stevens, Elia Kazan, Arthur Penn, les deux derniers figurant parmi les metteurs en scène les plus mis en avant par Positif –, ses intentions et ses méthodes de travail, qui n’ont extraordinairement jamais changé, élaborant les bases d’un art poétique auquel le réalisateur est toujours resté fidèle.

Aussi pointue que soit la revue dans son approche cinéphilique, il reste frappant de voir à quel point elle sait s’adapter à la personnalité de ses interlocuteurs, et ne jamais verser dans une sophistication inutile, une analyse exagérée, en face de créateurs souvent rétifs à l’analyse. L’entretien réalisé avec John Huston lors de la sortie de Fat City en 1972 reste un exemple étonnant de ce qu’il est possible d’obtenir d’un metteur en scène pourtant rétif à l’exégèse de son travail. John Huston fut longtemps l’objet d’un schisme au sein de la critique en France, Positif demeurant l’un de ses ardents défenseurs, souvent isolé dans son parti pris, jusqu’à l’unanimité tardive autour du réalisateur lors de la sortie de l’admirable Gens de Dublin en 1987.

L’entretien réalisé par Jan Aghed et Michel Ciment révèle un portrait admirable d’un metteur en scène dont le vécu, mieux que beaucoup d’analyses, permet d’analyser son travail. A la question : « Que faites-vous quand vous ne filmez pas, ne jouez pas, ne lisez pas, ne voyagez pas ? », Huston répond par un lumineux : « Je monte à cheval. Et j’ai une meute pour la chasse au renard, les Galway Blazers. Et c’est ce qui me plaît le plus maintenant. »

Parfois, le moyen le plus sûr de parler avec pertinence d’un cinéaste est de sortir des frontières étroites de la cinéphilie.

Samuel Blumenfeld, Le Monde, édition du 17 juillet 2011