Prix Nobel de physique ou variations et suites pour grains de lumière sur le mode quantique

Par Jean-Noël Ferragut
Qui s’intéresse un tant soit peu à la lumière ne peut qu’écarquiller grand les yeux en tentant d’assister au spectacle de l’infiniment petit des photons, ces particules élémentaires qui la composent et que deux physiciens viennent pour ainsi dire de dompter, le Français Serge Haroche et l’Américain David Wineland, se voyant ainsi récompensés, par le prix Nobel 2012, de leurs travaux sur l’interaction fondamentale entre ladite lumière et la matière qui nous entoure.

Jusqu’ici, rien de bien sorcier, l’objet de leurs recherches restant somme toute à la portée du commun des mortels... Là où les choses se compliquent, c’est que ce prix met à l’honneur des travaux effectués dans le domaine de la physique et de l’optique quantiques. Au fait, avez-vous jamais entendu parler du fameux paradoxe du " chat de Schrödinger ", un matou tout doux qui a la particularité de pouvoir se trouver dans deux états différents, à la fois mort et vivant ? Ou de bien d’autres phénomènes extraordinaires qui existent dans ce monde-là mais disparaissent dans notre monde réel ?
Depuis l’aube du XXe siècle, on sait que la lumière est à la fois onde et particule. C’est à cette même époque qu’Einstein en personne décide que nos photons, ces " grains " ou " quanta " d’énergie, vont faire leur entrée en jeu. Mais oublions-en les règles et passons sur les détails ! Fin de la première suite, et flash back.

Nous sommes au temps béni, selon certains, quoique bientôt préhistorique, de la splendeur du support argentique. Un dénommé Pierre Mouchel, alors directeur des Recherches chez Kodak (dont les usines viennent de déménager de Vincennes à Chalon-sur-Saône), émerveille son auditoire d’un soir – il est venu présenter une la dernière pellicule ultra sensible de la maison – en faisant allusion au moutonnement quantique... Pure licence poétique ou ultimes variations pour grains et photons du cantique des quantiques ?
Rien de cela, que du sérieux ! Notre homme, éminemment instruit, tente de sensibiliser son monde au fait que toute technologie connaît des limites. En particulier celle qui lie, lors de la fabrication d’une surface sensible, les cristaux d’halogénure d’argent et les coupleurs colorés. Pour faire simple, plus on cherche à augmenter la sensibilité d’une pellicule sans perte de définition, plus on augmente la taille et le volume de la granulation.
Et ce cher monsieur de prendre comme exemple l’observation de ce qui se passe lorsqu’il se met à pleuvoir sur l’un de nos trottoirs. Quand le sol est encore sec, on distingue parfaitement les taches sombres que les premières gouttes d’eau font sur le bitume. Plus la pluie se met à tomber, plus elles viennent progressivement grossir chacune de ces taches, faisant en sorte qu’au bout de quelques minutes, la surface du sol devient uniformément mouillée et sombre, et l’on est bien incapable de distinguer quelque forme que ce soit.
Il en va ainsi des grains de sels d’argent et des surfaces sensibles. Dépassé un certain seuil de grosseur de grain, donc de sensibilité, l’œil ne verra plus sur l’écran qu’une bouillie informe en guise d’image. Perspective qui a poussé notre cher fabricant à changer de technologie, ce qu’il a fait en passant à celle des grains plats, autrement dit grains T, marquant du même coup l’arrêt programmé de la course à la sensibilité. Fin de la deuxième suite…

Il n’y aura pas d’autre, rassurez-vous, car il faut bien conclure. En revenant au comité Nobel qui a souligné la contribution essentielle de ces deux physiciens dans la conception de dispositifs permettant de contrôler et mesurer des systèmes quantiques dont les applications vont des horloges de précision à l’élaboration des futurs ordinateurs, quantiques eux aussi, des machines dont les performances de calcul seraient infiniment supérieures à celles des ordinateurs classiques. Alors, si notre monde ne s’est pas emballé d’ici là, il se sera peut-être trouvé un dompteur de photons qui aura concrétisé ce vieux rêve des années 1930, la téléportation des états quantiques.
Et pourquoi pas des humains ? De ce côté-là, nulle permission de rêver, sauf à revoir pour la énième fois les variations et suites des aventures du Capitaine Kirk et de Mr. Spock, ces héros de Star Trek, confortablement assis devant un écran de cinéma…

Rappel de saines lectures
Pour les néophytes qui souhaitent en savoir un peu plus :
Voyage au cœur de la lumière, de Trinh Xuan Thuan – Sciences et techniques – Découvertes Gallimard (128 p. – couverture en vignette de cet article)
Pour ceux dont la folle idée est de vouloir tout savoir :
Les voies de la lumière - Physique et métaphysique du clair-obscur, de Trinh Xuan Thuan – Le temps des sciences – Fayard (796 p.)