Réforme des financements du cinéma français

Benoît Ameil, réalisateur, SRF

La Lettre AFC n°233

Réforme des financements du cinéma français nécessaire pour l’éco-système cinématographique. Préalable à accord pour l’extension d’une convention collective dans l’industrie du cinéma.

Réforme des obligations des chaînes TV :
- Clause de diversité pour France Télévisions.
- Plafonnement par film du montant pris en compte pour le respect de l’obligation d’investissement dans le cinéma : 1 M€ pour les chaînes gratuites et 3 M€ pour les chaînes payantes.
Avantage : renforcement du financement des films les moins bien financés.

Réforme des aides au cinéma du CNC (soutiens automatiques et sélectifs) :
- Assumer le fait que les crédits du CNC sont des fonds publics et opérer une évaluation des politiques publiques menées par le CNC.
- A ce titre, demander publication par le CNC, chaque année, d’un tableau comparatif regroupant, film par film, le montant ventilé des hauts salaires, leur somme, le budget du film et les montants ventilés de toutes les aides publiques.
Avantage : cette transparence s’inscrit dans une mise à disposition des données publiques de manière ouverte. L’évaluation des politiques publiques est donc possible par tous, surtout par les parlementaires et les associations professionnelles, quelle que soit la couleur du pouvoir.
- Mise en place d’un critère " hauts salaires " : la somme des salaires des talents – les acteurs notamment – ne peut pas être supérieur à 100 % du montant d’une aide du CNC. Eventuellement, descendre le seuil à 80 ou 75 %. Cette règle est aussi possible avec les aides régionales. Le nombre de films sur lesquels cette situation existe, et les crédits publics correspondants, ne sont pas connus. D’où la nécessaire transparence. Un courrier a été adressé en ce sens le 23 mars 2013 à la Cour des Comptes.
Corollaire : bascule des hauts salaires en majeure partie sur une rémunération variable, basée sur un pourcentage des recettes brutes.
Avantage : renforcement du financement des films les moins bien financés. Deux scénarios sont possibles.
A) Les producteurs maintiennent les hauts salaires et le CNC pourra réallouer ces subventions sur les films en ayant manifestement besoin.

B) Si, en revanche, les hauts salaires engagés pour la réalisation de ces films sont baissés, les fonds privés investis dans la production cinématographique pourraient être reportés sur d’autres postes de dépenses ou sur d’autres films. Dans les deux cas de figure, les transferts financiers permettraient de mieux rémunérer les prestations des techniciens, les industries techniques et les travaux d’écriture (R&D). La deuxième option est à la fois certainement celle qui est préférable car la ré-allocation des fonds est faite par le privé, et d’autre part la plus probable car il est vraisemblable que les producteurs ne renoncent pas à la capacité de mobiliser les fonds du CNC.

Même si cet aspect du report financier devait être moindre par rapport au plafonnement des obligations des chaînes TV, d’autres avantages structurels découleront de cette réforme.

- Eviter la déconnection des hauts salaires avec le succès des films.
- Légitimation du salaire des acteurs : l’enrichissement personnel des acteurs est possible en cas de succès ; et n’étant jamais déconnecté du succès, ne pénalisant pas la production du film, et n’étant jamais plus basé sur des aides publiques, il n’est plus remis en cause, ni par la branche réformiste de la profession, ni par la presse libérale et économique.
- Le couple scénario-mise en scène est replacé au centre du choix opéré par les comédiens et leur agents, poussant ainsi la production vers un accroissement de sa qualité. En baissant ainsi le niveau des rémunérations fixes, et si celles-ci s’établissent dans une fourchette plus resserrée, elles seront moins déterminantes pour les comédiens. Cela fait mécaniquement monter le poids du scénario. L’atout est maintenu jusque dans le cas d’un comédien qui souhaite maximiser ses revenus : il devra faire un film qui marche. Un film commercial à gros budget et bien distribué n’est pas une garantie. Un bon scénario non plus, mais les deux éléments sont à nouveau des facteurs équivalents.
- Les producteurs indépendants peuvent à nouveau avoir accès aux comédiens connus car leur salaire sera plus accessible, ce qui permettra un meilleur financement et une meilleure exposition des films.
• Attribuer l’ensemble de l’aide du CNC au profit du producteur délégué pour lui permettre de mieux investir en R&D en échange d’un pourcentage minimum du compte de soutien en investissement en R&D. Avec éventuellement un plafonnement en valeur + périmètre à définir (premier film exclu).

Réflexion à mener avant la fin du mandat et le plus rapidement possible sur les remontés de recettes, notamment :
- Cartes cinéma illimitées, impactant principalement les zones à forte densité de population et donc les zones où sont projetés en majorité les films de la diversité.
- Faire remonter au CNC le nombre d’entrées par type d’abonnement de manière à pouvoir constater l’impact des cartes illimitées sur la fréquentation : un abonné illimité va-t-il réellement voir plus de films de la diversité qu’un abonné non illimité ou qu’un spectateur lambda ?
- Dans les procédures d’agrément, inclure la fourniture annuelle du nombre d’abonnés allant 1 fois au cinéma par mois, 2 fois par mois, 3 fois par mois, 4, fois par mois, 5 fois par mois, 6 fois par mois, etc., afin de vérifier si les cartes illimitées ne sont pas un moyen, pour les réseaux de cinéma, de rendre captif au détriment de la production.
- Taxation des recettes de confiseries et des frais publicitaires au profit du CNC avec reversement aux distributeurs indépendants ?
- Établir une taxation dissuasive des recettes publicitaires en salles (sans reversement aux distributeurs) pour diminuer les coûts de promotions en salles ? Porter l’affaire de l’Autorité de concurrence ? Jouer sur le compte de soutien exploitant ?

Lien entre le court et le long métrage :
Faire évoluer les logiciels de billetterie pour qu’ils puissent inclure les courts métrages pour mettre en valeur la fréquentation du court. Profiter de l’évolution d’Ymagis. Prendre éventuellement en charge le travail de développement pour la mise à jour sur les fonds du CNC ; les fonds d’aides à la distribution pour l’avant-programme sont généralement peu mobilisés. Une réaffectation temporaire pour la mise à jour est probablement possible.

La transparence, et la réforme qui est son corollaire, est indispensable pour que les partenaires sociaux s’accordent sur convention collective (CC). Si les salaires de la CC API sont trop élevés pour être effectivement respectés par le SPI, les syndicats signataires de la CC API ne l’admettront qu’après la mise en œuvre de ces réformes et des mesures de transparence inhérentes.

Benoît Ameil est membre de la Commission Nationale aux Médias du PS.

« Moi je suis un peu de l’avis qui a été exposé, selon lequel, en fait, le vrai problème ce n’est pas la Convention collective, mais le rétablissement de financements plus adaptés au cinéma français d’aujourd’hui, c’est-à-dire d’une meilleure répartition des flux financiers et une meilleure attribution des aides du CNC. Sachant que pour moi, en fait, la Convention collective fait partie intégrante d’une réforme globale à mener, et qu’une réforme des financements doit être concomitante à l’extension de cette Convention collective, notamment concernant les obligations des chaînes TV et l’attribution des soutiens du CNC (fonds publics) à des films surfinancés. Sur ce dernier point, je suis d’avis qu’un nouveau critère d’attribution des fonds du CNC oblige les producteurs à renoncer à leur soutien en cas de rémunération excessive des talents et du producteur ou, ce qui est plus plausible, à changer leur comportement sur ce point, en faisant, par exemple, basculer l’essentiel de la rémunération des acteurs en participation sur recettes bruts, pour tous les films. »

(Benoît Ameil, AG de la SRF, 15 juin 2013)