Rien n’arrêtait Agnès Varda

Par Patrick Blossier, AFC

par Patrick Blossier La Lettre AFC n°297

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L’affiche du festival de Cannes 2019 est sublime. Très bel hommage qui résume tout Agnès Varda. Rien n’arrête Agnès pour tourner un plan, rien n’est impossible, sa petite taille ne l’empêchera pas d’atteindre le viseur de la caméra haute perchée. L’image vient du tournage de son premier long métrage, La Pointe courte, tourné à Sète en 1954 alors qu’elle est photographe du TNP de Jean Vilar.

C’est l’image que je garde d’elle des tournages de Sans toit ni loi et de Jacquot de Nantes. Sur ces deux films, on est partis sans vraie préparation, sans scénario, juste quelques notes manuscrites. Agnès était guidée par son énergie et son imagination débordante. Avec elle les films se construisent au fil du tournage.
J’ai rencontré Agnès Varda un peu par hasard, grâce à Patricia Mazuy (qui participait à la préparation et qui, comme assistante monteuse, a été décisive dans la structure du film). Sans toit ni loi est mon premier long métrage de fiction comme chef opérateur. Merci Patricia, parce que c’est une très grande chance d’avoir débuté avec Agnès Varda, elle m’a transmis son goût pour le cadre, les douze travellings qui ponctuent le film influencent encore aujourd’hui mon travail.

En 1985, il n’y avait pas de combo, le chef opérateur et le metteur en scène partageaient la visée de la caméra, unique endroit d’où on pouvait voir le cadre qui se tramait… Cette proximité facilitait les échanges. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Agnès écrivait la scène du jour au petit déjeuner, quand elle n’avait pas terminé, elle continuait d’écrire sur le plateau, pour nous faire patienter elle nous faisait installer un long travelling, pour nous occuper. Comme nous n’étions pas très nombreux (une dizaine en tout), l’installation pouvait prendre un certain temps, le temps qu’il lui fallait pour finir d’écrire la scène. Le soir, nous nous retrouvions dans la salle de montage installée dans la résidence universitaire où nous logions tous. Le film prenait forme devant nous, c’était magique.

Sandrine Bonnaire, Agnès Varda et Patrick Blossier sur le tournage de "Sans toit ni loi"
Sandrine Bonnaire, Agnès Varda et Patrick Blossier sur le tournage de "Sans toit ni loi"

Le tournage s’est prolongé, fin avril les arbres bourgeonnais, les fleurs envahissaient les champs, Sans toit ni loi est un film d’hiver mais… ça n’a pas arrêté Agnès. Début mai quelques membres de l’équipe (dont Sandrine Bonnaire) ont dû partir pour honorer d’autres engagements… ça n’a pas arrêté Agnès. Nous n’étions plus que cinq, Jacques Royer (assistant) avait le pied dans le plâtre et Agnès poussait le travelling. Un accident de voiture a arrêté le tournage. Son énergie était hors norme et communicative. Toute l’équipe de Sans toit ni loi garde un souvenir ému et très fort du tournage. Nous étions tous très jeunes et très débutants, elle nous a emmenés très loin…