Salamandra

de Pablo Agüero, photographié par Hélène Louvart, AFC

par Hélène Louvart

Après sa sortie de Louis-Lumière en 1985, Hélène Louvart, AFC, a fait ses classes dans le documentaire et le court métrage. Elle a signé depuis la photographie d’une quarantaine de films de fiction. Parmi ceux-ci, on note une collaboration fidèle avec Sandrine Veysset, Dominique Cabrera, ainsi que des tournages avec Christian Vincent et Jacques Doillon. Après Pau et son frère en 2002, puis Dans les champs de bataille et La Blessure en 2004, elle revient en sélection cannoise avec Salamandra, un film argentin à la Quinzaine des réalisateurs.
Dolores Fonzi et Joaquin Aguila - © JBA Productions
Dolores Fonzi et Joaquin Aguila
© JBA Productions

Même si Salamandra a été tourné en Patagonie, ce n’est pas un film qui transpose la vision habituelle que l’on peut avoir de cette région...

Pablo Agüero voulait donner l’impression d’un endroit assez hostile, dans cette région montagneuse, avec un climat particulièrement pluvieux. Ce que l’on vivait sur place le week-end, avec grand ciel bleu et ambiance printanière, n’avait en effet pas grand-chose à voir avec ce que l’on filmait pendant la semaine…
Le premier élément était donc cette pluie incessante. Bien entendu, elle était artificielle à chaque fois, afin qu’elle se voit réellement à l’image. Ensuite, il était hors de question de cadrer la nature telle qu’elle se présentait à nous en ce début de printemps (un tournage dans l’hémisphère sud entre octobre et novembre). Donc le moins possible d’herbe verdoyante, en la masquant par exemple par l’intermédiaire d’objets placés en avant-plan.

En extérieur, on a essayé de tourner le plus possible par temps gris, pour avoir une sorte d’uniformité sur la narration, tout au moins pour des scènes qui concernaient la première partie du scénario. De même, les nombreuses séquences d’intérieur jour du film ont été tournées en faisant couler de la pluie au-dessus des fenêtres, et en les gélatinant fortement pour donner l’impression d’un temps très sombre et très chargé à l’extérieur. Un peu comme si le jour n’arrivait pas à percer. Egalement, pour rendre lisible et " bien posée " la montagne que l’on voyait par la fenêtre, et dont la présence faisait partie intégrante du scénario.

Comment s’est préparé le film ?

Nous n’avons pas pu faire de vrais repérages en amont du tournage du fait que le lieu de tournage était très loin géographiquement. Je ne suis donc venue sur place que trois semaines avant le début du tournage, histoire de tout préparer. Par contre, on s’est vu beaucoup à Paris avec Pablo. Il m’a montré de très nombreuses photos, ce qui nous a permis de travailler sur des concepts d’éclairages assez particuliers. Son idée était d’éclairer le décor et les personnages en faisant traverser les faisceaux lumineux par divers objets de la vie… Des bâches en plastique, des brillances de verre, ou des réflexions sur des murs teintés… Une vision extrêmement précise d’un univers lumineux à la fois poétique et artisanal qu’il m’a demandé de concrétiser.

J’ai trouvé passionnante cette manière qu’il a de se poser des questions sur la lumière, et de ne pas se reposer sur une sorte d’acquis de " technique d’éclairage " qui aurait été " passe partout ". D’autant que la narration du film étant basée sur des souvenirs pour lui, il souhaitait que la réalité soit transposée, que ce soit " poétiquement " vu par les yeux du personnage principal (un garçon de 7 ans).

Quelle scène du film est la plus emblématique de ce travail ?

Il y a naturellement la " casa Schulz ", la maison qui occupe une place prépondérante dans l’histoire. Dans la séquence où le petit garçon se cache derrière une montagne de boîtes et d’objets divers, il y a cette sorte d’éclatement de lumière, ces diffractions multiples des faisceaux qui tapent dans le fourbi des éléments du décor... Avec constamment beaucoup de mélange de température de couleurs. Le fait que le jour ne perce pas à travers les fenêtres, les lumières intérieures (des ampoules dans des abat-jour) restaient allumées dans les scènes d’intérieur jour, mélangées à quelques néons que nous installions dans le cadre, qui pendaient par ci par là...

Avez-vous utilisé des instruments particuliers pour construire cette lumière " diffractée " ?

Oui, nous avons par exemple utilisé des cadres de gélatine transparente sur lesquels on tapissait des morceaux de " gaffer " dans tous les sens… Pablo, de son côté, pouvait rajouter à son tour de la poussière dessus, ou un élément visqueux qui transformait le faisceau lumineux en quelque chose " d’extrêmement bizarre ". En quelque sorte, essayer sur l’écran une espèce de lumière pas très " catholique ", pour filmer des gens qui ne l’étaient pas non plus… ! (L’histoire se passe entièrement dans une communauté hippie, dans les années 1980)

Quels ont été vos choix de pellicule, vu ces conditions ?

A la fois le mélange de température de couleurs et le fait que le film entier baigne dans une atmosphère sombre, tout ceci m’a amené à choisir la Kodak 7218 (Vision Premier, 500 ISO, Super 16), une pellicule très souple qui puisse donc encaisser cette lumière pas du tout cartésienne… Comme nous tournions souvent avec des niveaux lumineux extrêmement bas, la série Zeiss Distagon qui équipait la caméra a été utilisée à pleine ouverture.

Comment s’est effectuée la postproduction ?

Le développement du négatif s’est effectué à Buenos Aires. Nous avons commencé à recevoir des rushes en DVD et en mini DV environ quinze jours après le début du tournage. Le film devait ensuite passer par la chaîne de gonflage optique. Mais entre-temps, le laboratoire Eclair nous a informés que ce n’était plus possible. On est donc passé en postproduction numérique, avec étalonnage sur console Colorus.
Par rapport à tout ce que souhaitait Pablo, ce changement de programme a été pour nous plutôt bénéfique. Même si l’on n’avait pas beaucoup de temps en étalonnage, on a tout de même pu renforcer et accentuer certains partis pris, que ce soit le jeu sur les différences de couleurs, ou sur certaines ambiances très sombres. Tout en essayant de garder un peu de grain, afin de retrouver la texture du Super 16 qui nous plaisait au départ.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)