Salut, Dominique par Alain Jomy, réalisateur et musicien

par Dominique Chapuis La Lettre AFC n°105

Il y a des rencontres comme ça, qui commencent sous le signe du travail et s’en échappent très vite. Nous nous sommes vus pour la première fois pendant un tournage (L’effrontée) et très vite, ce sont d’autres sujets que ce film qui nous ont rapprochés. Il sortait depuis peu de l’expérience de Shoah de Lanzmann et - comme me l’a dit récemment un de ses amis d’enfance : « Il y a eu Dominique avant et Dominique après Shoah ». Il était alors comme brûlé de l’intérieur par ce film, dont il me disait : « C’est la première fois qu’on filme réellement la parole. » C’était vrai. Cela a partiellement contribué à nous rapprocher, tout autant que la découverte de notre parcours parallèle bien que distant de quelques années, à travers le même lycée parisien, la même préparation à l’IDHEC et la même école donc.
Bien sûr, comme souvent dans nos métiers, il n’était possible de nous voir qu’entre deux films. Il nous est parfois - rarement - arrivé de travailler ensemble. Ce que j’avais à lui proposer était la plupart du temps bien plus modeste que les films auquel il collaborait. Mais il apportait le même soin scrupuleux et le même enthousiasme à ces émissions de débats que nous faisions pour Arte du temps où la chaîne était cryptée. Il y eut aussi une expérience en haute définition. Et il y eut surtout le tournage d’un film musical pour Arte en Grèce, dans une île où les conditions étaient loin d’être confortables. Le résultat fut des images superbes qu’il fit sans assistant, pour soutenir et illustrer une musique admirable, ce qui me donna un de mes plus grands plaisirs au montage. L’année dernière, il rééclaira pour une transmission télévisuelle une Carmen assez décoiffante montée par des Russes au grand théâtre de Rouen, négociant pied à pied avec l’éclairagiste de la troupe pour parvenir à obtenir de vraies lumières. C’était au mois de mai, avant un téléfilm, si je ne me trompe, et le long métrage de Zabou Breitman, dont il parlait beaucoup, qui le passionnait, c’était avant que la maladie n’éclate et avant ces longs mois où il s’est battu, où la famille et les amis ont espéré, cru que la partie était gagnée au moins deux fois, jusqu’à ce 4 novembre.
A un de ses amis new-yorkais que je prévenais de la nouvelle et qui demandait comment se sentaient ses amis d’ici, j’ai dit que nous nous sentions d’une certaine manière orphelins. Tristes, bien sûr, mais surtout dépassés par la perte. Il a beaucoup œuvré, il avait encore à dire et à faire. Les nombreuses traces de son talent restent, resteront - ce sont ces belles images qu’il a composées avec amour, quand il était cameraman puis quand il est devenu directeur de la photographie. Mais il n’y avait pas que son œil. Il y avait aussi sa compréhension. Son écoute me manquera, la proximité de vues, la connivence. Je me rappellerai sa curiosité, qui était incessante, son engagement dans son travail, sa fidélité à une ligne de conduite, sa fidélité en amitié. Certes il n’était pas paisible, il n’était pas tiède ni dans sa manière d’être ni dans son langage, il pouvait être féroce, il pouvait être également vulnérable. Je me rappellerai surtout qu’il était un homme passionné - et sa passion était communicative.