Salut l’Artiste !

Par Robin Davis, réalisateur

La Lettre AFC n°254

Maurice Fellous est parti il y a quelques jours. Et pourtant je n’arrive pas à être complètement triste. Pourquoi ? Peut-être parce qu’en secret il nous disait – à nous ses amis autour de Georges Lautner – que le jour où il disparaîtrait, « Ah, non, il ne faudra pas être triste, hein !... ah non ! ». Ça peut paraître banal dit comme ça, mais pour lui, homme en apparence pragmatique, c’était essentiel. Je veux dire, lié à l’essence de ce qu’il était : un homme pudique, réservé, secret. Mais gai. En tous les cas, c’est comme ça qu’il m’apparaissait à moi.

Peut-être était-il autrement avec d’autres, je n’ai connu Maurice que dans le travail. Un petit bonhomme, sec, volontaire, courageux, agité, constamment agité, on aurait dit que ne pas bouger, c’était comme une maladie et non l’inverse.

Je l’ai connu véritablement sur un film à sketches de Lautner – La Famille c’est sacré (aussi appelé Les Bons vivants) –, j’étais stagiaire et c’était la première fois de ma vie que je mettais les pieds dans un "vrai" studio, à Boulogne-Billancourt. Photo noir et blanc. Hormis le fait que je ne comprenais rien à ce que faisaient tous ces gens, machinos, électros, accessoiristes, c’était une scène où – ô miracle – il neigeait en plein studio, et devant moi je voyais de Funès et Mireille Darc évoluer. Le problème n’était pas tant de les voir jouer la comédie avec toutes ces pluches qui simulaient la neige, l’étrange, c’était de les voir jouer "malgré" la présence d’un ludion qui modifiait et organisait la lumière au gré de leurs déplacements…

Un petit bonhomme qui passait devant les acteurs, agitait un petit bout de tissus devant une lampe…, courbait un déflecteur, surélevait un projecteur après le "Moteur" et le "Partez" tandis qu’ils disaient leur texte. Et pas un mot de récrimination de leur part. A peine si le metteur en scène, inquiet, de temps en temps lui lançait un regard mauvais. Mais Maurice n’en avait cure. Il avançait et faisait la photo "à sa manière".
L’actrice, elle, savait… tous ces petits gestes, ces petites rectifications du dernier moment, si énervantes, c’était pour son bien. Pas d’ombre sous les yeux, pas de marques intempestives, la lumière " star-system " façon débrouille à la Fellous. Pas cher et efficace. Et plus qu’efficace même. Plus tard, j’avais grandi, et compris un peu mieux la méthode.

Je restai ébahi devant la photo de Ne nous fâchons pas avec Lino Ventura.
Je crois que c’était le premier film en Scope pour Georges Lautner et peut-être pour Maurice. Il y avait comme de la fête dans l’air. Les cadres impeccables d’Yves Rodallec, le nouveau et jeune cadreur qu’il s’était choisi, transcendaient la qualité de l’image.
En projection, devant la beauté de Mireille Darc, en admirant les décors qui flamboyaient je lâchais un peu inconsidérément : « Ouah ! on dirait un film de Richard Quine ! ». Je posais la main sur son épaule pour préciser : « On croirait la photo de James Wong Howe dans Adorable voisine ! ».
Je voulais "vraiment" faire un compliment. Il m’a regardé de travers. Je me suis dit… Merde, j’ai fait une connerie… ne jamais faire de comparaisons… Et puis j’ai vu son œil s’allumer, avec un peu de retard. Non pas pour le compliment que je lui faisais… mais pour la culture dont je faisais étalage. Il me dit avec un fin sourire : « Vous connaissez beaucoup de choses, vous ! ».

C’est ce « vous » qui est resté jusqu’à la fin. Jamais pu m’en débarrasser. Pourtant il est d’usage dans les équipes de se tutoyer. Faisait-il pareil avec les autres ? Malgré mes demandes, ça me paraissait étrange qu’il me vouvoie. Ce n’est pas un détail. Plutôt un élément constitutif de sa modestie. De l’admiration qu’il avait en général pour la culture et ceux qu’il pensait "être intelligents". (Rien à voir avec moi).
L’empreinte du "patron" Lautner est là : on ne cultive pas la mélancolie dans cette équipe. On fait son travail. On passe.

Je ne suis certes pas celui qui a le mieux connu Maurice. Je voulais juste raconter une ou deux anecdotes. On en a tous à raconter. On dira la photo du Septième juré était géniale, ou bien, Les Tontons flingueurs, dément, ou encore… Les Monocles, Les Barbouzes, Le Pacha, La Route de Salina, Les Seins de glace, La Valise, La Grande sauterelle, etc. Ouah… tout ça c’était lui !… Je me souviens de… quand il…
Pour ceux qui l’ont côtoyé vous avez surement une anecdote vous aussi. Vous détenez vous aussi une partie de la vie de Maurice Fellous.
J’en détiens une partie, infime.

A sa famille, sa femme, ses enfants, sa grande famille professionnelle.
Salut l’Artiste !

(En vignette de cet article, au premier plan, Georges Lautner, Maurice Fellous et "Loulou" Pastier, cadreur, sur le tournage des Tontons flingueurs - Collection Georges Pastier)