Soyons réalistes, exigeons l’impossible…

Arnaud Roth, chef décorateur, ADC

La Lettre AFC n°233

L’extension de la Convention collective, dite API, a engendré un nombre incroyable d’articles, d’interviews, d’analyses et de points de vue, majoritairement opposés à ce texte. Nous, techniciens, avons été caricaturés, dénigrés et stigmatisés.

Comme nous tous, j’ai été blessé par ces accusations.
Comme une immense majorité d’entre nous, j’ai participé à des films d’auteurs.
Comme une immense majorité d’entre nous, j’ai choisi, plusieurs fois, d’investir mon temps, mon énergie et ma sensibilité au service d’un film auquel je croyais, tout en acceptant des conditions salariales parfois inférieures au SMIC.
Comme une majorité d’entre nous il m’arrive régulièrement de sacrifier ma vie de famille, en travaillant une nuit, un dimanche, en été, à l’étranger ; quel que soit le salaire qui m’était proposé, j’ai raté des fêtes d’école, des fêtes de famille, des enterrements, des mariages, des dîners entre amis, des soirées avec ma femme, des vacances avec mes enfants.

On ne pratique pas nos métiers sans passion, sans accepter de nombreux sacrifices.
J’aime mon métier, j’aime notre monde cinématographique, j’aime les gens qui le fabriquent.
J’aime voir le cinéma des autres.
J’aime savoir que quelques films ont changé ma vie.
J’aime découvrir un beau scénario, j’aime les discussions sur un devis, j’aime " commencer " avec mon équipe… J’aime voir une patine parfaite, du bois bien travaillé, un camion bien chargé.
J’aime voir les comédiens à l’œuvre, j’aime appartenir à une équipe de tournage, j’aime regarder le combo.
Je suis ému quand un réalisateur me dit qu’il aime le décor que nous venons de lui livrer.
Je suis ému quand je vois mon équipe donner vie à mes idées, à mes risques, à mes certitudes.
Je suis ému quand l’équipe de plateau travaille en harmonie, quand l’orchestre emporte et accompagne le travail des virtuoses.
Et parfois je pleure quand je découvre le film monté, la beauté d’une lumière, l’habileté du montage, le souvenir de la fabrication d’un décor …

Alors oui, parce que j’aime mon métier, malgré les sacrifices qu’il impose, parce que je veux continuer à l’exercer, au mieux, entouré de mes équipes, de ces talents qui me sont nécessaires, je voulais cette Convention collective.
Pas par passion, non, par nécessité.
Il nous fallait une Convention collective et celle-ci s’est rapidement avérée être la moins dangereuse, pour nous, techniciens.

Et si, investi sur ce sujet, j’ai pu être blessé par tous les amalgames, les caricatures et les absurdités colportés sur nos professions, j’ai aussi été porté par la certitude que notre combat était juste et collectif.
Cette Convention collective, comme tout texte de compromis, n’est parfaite pour personne.
Elle impose des sacrifices. Aux techniciens, comme aux producteurs.

Nous allons tous devoir découvrir une nouvelle organisation, modifier nos habitudes et adapter nos pratiques.
Mais cette Convention collective arrive au plus mauvais moment pour les productions et elle a, finalement, cristallisé leurs angoisses.

Car notre système de financement traverse une grave crise.
Et d’aucuns ont voulu faire croire que les salaires des techniciens étaient la cause, ou la solution, à leurs problèmes de financement.
Mais ce sont deux sujets de nature et d’échelle totalement différentes.
D’un côté la Convention collective, de l’autre l’inadéquation du système de financement actuel.

L’objet d’une Convention collective est d’organiser les conditions de travail au sein d’un secteur professionnel, de définir les droits et devoirs des employeurs et des salariés.
En aucun cas de résoudre les problèmes de financement dudit secteur professionnel.
A ce titre, nos amis réalisateurs devraient se réjouir que cette Convention collective reconnaisse, enfin, leur poste et que leurs collaborateurs soient désormais protégés.

Nous avons une Convention collective étendue !
Elle sera effective au 1er octobre prochain.
Si pour nous, décorateurs, trois points essentiels restent à régler (suppression du poste d’ensemblier-décorateur / création du poste de ripeur / mêmes heures d’équivalence pour tous les techniciens), il n’en reste pas moins qu’elle est actée.
Sinon heureux, je suis soulagé qu’elle ait été finalement étendue et je voudrais remercier les syndicats de salariés pour leur ténacité et le ministère du Travail pour sa résistance aux pressions, fortes, diverses et répétées.

Et je me réjouis que nos associations professionnelles, soucieuses de ne pas alimenter les polémiques stériles, aient œuvré à la connaissance et à la défense de tous nos métiers.
Mais je crois qu’il est temps de concentrer nos énergies sur le sujet fondamental qui nous gangrène : le système de financement.

Le système de financement du cinéma français est obsolète.
L’offre (de financement) en nette diminution ne répond plus à la demande, en forte expansion.
Les chiffres n’ont plus de sens… 700 millions d’euros de fonds au CNC, 270 films français produits en 2012 (soit plus de 5 sorties par semaine), 5 000 sociétés de productions enregistrées en Ile-de-France…
S’il avait de nombreuses vertus à sa création, notre système de financement génère aujourd’hui bien plus d’effets pervers que d’effets positifs.
Après la violence des mois écoulés, je crois aussi qu’il est temps de nous rassembler.
Nous devons sortir des oppositions artificielles qui nous ont été imposées uniquement par stratégie politicienne.

Producteurs, réalisateurs, techniciens, nous sommes le cinéma français. Nous le fabriquons ensemble, au quotidien.
Avec vous je discute devis, plans, couleurs, atmosphères, ambiances, sens, ambitions.
Nous rions ensemble, nous déjeunons ensemble. Nous travaillons ensemble et parfois nous nous fâchons.
Mais nous créons ensemble… des mots du scénario, nous fabriquons les images et sons du film.

Nous devons absolument nous réunir, renouer nos liens, retrouver et partager notre confiance, pour avancer et fabriquer ensemble, le cinéma français du XXI° siècle, avec cette nouvelle Convention collective et en abordant de front, les difficultés de financement et les délocalisations massives que nous subissons.

Soyons réalistes, exigeons l’impossible… Ernesto " Ché " Guevara