Sven Nykvist

par François Catonné

par François Catonné La Lettre AFC n°159

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Je me souviens...
J’ai rencontré Sven Nykvist grâce à Louis Malle. Tonino Delli Colli dont j’avais été l’assistant sur Lacombe Lucien s’était pas libéré pour faire Blackmoon. Un film étrange, sans dialogues, avec Joé D’Alessandro et Alexandra Stewart. J’avais été très déçu, jusqu’à ce que j’apprenne que Louis Malle avait engagé Sven Nykvist avec qui il avait envie de travailler depuis longtemps. Un an après, Sven m’avait redemandé pour faire Le Locataire de Roman Polanski. Après cela, j’étais devenu opérateur, et je n’ai pas fait les autres films qu’il a tourné en France. Il en a fait cinq :
1974 Black Moon de Louis Malle
1975 Le Locataire de Roman Polanski
1982 La Tragédie de Carmen de Peter Brook
1983 Un Amour de Swann de Volker Schlöndorff
1987 L’Insoutenable légèreté de l’être de Philip Kaufman
plus un peu de pub. J’en ai tourné une avec lui (!!!)

Nous sommes donc quelques-uns à avoir eu cette chance de le côtoyer : Dominique Le Rigoleur et Jean Harnois au cadre, Arthur Cloquet, Philippe Houdart, Guillaume Schiffman, Nils Tavernier, Anne Trigaux et Bruno de Keyzer qui était second assistant avec moi sur les deux premiers films. Et je pense que tous ont éprouvé de la fierté et du bonheur à travailler à ses côtés.

Sven, c’était d’abord un grand artiste, avant d’être un grand opérateur. J’ai été impressionné par son sens plastique, son goût, sa créativité. Je me souviens aussi de sa douceur et de son immense gentillesse. Henri Colomer parle d’un homme merveilleux dans son témoignage. C’était ça. Il était toujours calme sur un plateau, il semblait serein, se déplaçant doucement. Assurément, il y était très heureux.

J’étais jeune assistant, et je l’interrogeais tout le temps sur son travail, posant mille questions, parfois même pendant qu’il éclairait. Je voulais tout savoir de ce qu’il faisait et comment il le faisait. Jamais il n’a eu le moindre mouvement d’humeur. Il me répondait toujours et, avec beaucoup de générosité, ne cachait rien de sa manière de travailler. En souvenir de sa patience, je me suis toujours fait un devoir d’expliquer mon travail à mes assistants.

Il avait fini par me donner trois conseils, comme une conduite à tenir, et qu’il m’a souvent répétés : être souple, faire simple et prendre des risques... Il disait que s’il coupait un projecteur quand il en avait mis deux, il avait fait un progrès. Bonnes leçons.
J’ai été aussi impressionné par sa capacité à évoluer. Passant du noir et blanc très contrasté du Silence, avec des gris presque absents et des ombres portées très marquées, à la lumière douce de Cris et chuchotements et l’utilisation magistrale de la couleur. Entre-temps il avait rangé l’énorme caisse de filtres du noir et blanc et passé des heures dehors, à l’aube, pour étudier la lumière du matin et être capable de la récréer dans les intérieurs de Cris et chuchotements. Je sais qu’il aimait regarder et étudier la lumière naturelle et qu’il y avait consacré beaucoup de temps.

On voyait immédiatement qu’il était un grand créateur d’image et aussi un partenaire exceptionnel pour le metteur en scène. Quand on regarde les photos de lui et Bergman (voir recherche sur Internet Nykvist Images par Google), l’image dit leur communion. Dans leurs regards, on devine leur proximité. Leur collaboration a commencé par une journée difficile où Bergman a accumulé toutes les difficultés de cadre et de lumière pour tester son jeune opérateur. Le lendemain a débuté une vie de collaboration et d’amitié. 22 films en 31 ans.
Je me souviens aussi qu’ils sont tous les deux fils de pasteur. Ils avaient assurément une éducation qui les rapprochait.

Sur les tournages de Bergman, il y avait une caméra 16 mm dont chacun pouvait se servir pour filmer ce qu’il voulait. Il existe donc un immense making off racontant l’histoire des mêmes gens tournant des films de Bergman... Il existe aussi un DVD sur Nykvist fait par son fils.

J’ai très souvent pensé à lui depuis que je l’ai rencontré. C’est un homme qu’on aimait en plus de l’admirer.

  • Voir les photos prises par Bernard Prim et François Catonné.