Témoignage de Leos Carax, réalisateur

La Lettre AFC n°121

J’ai rencontré Jean-Yves quand j’avais 20 ans et lui 30. Nous nous sommes immédiatement aimés. Pendant 10 ans, dans les années 80, nous nous sommes vus tous les jours pour parler de tout, regarder des films, des photographies, des peintures, écouter des musiques, manger dans des restaurants asiatiques, aller au hammam de la mosquée les dimanches, avaler de petites boulettes d’opium avec du thé. Et nous avons fait trois films ensemble. Trois films qui lui doivent énormément.

Jean-Yves a été mon grand frère. A la fin des "Amants du Pont-Neuf", après des années de lutte pour mener le film à son terme, nous nous sommes fâchés. Il est parti en Amérique, je suis resté en France. Pendant les dix années suivantes, nous nous sommes vus une ou deux fois l’an, soit là-bas, soit ici, avec des restes de ressentiments. Mais depuis quelques mois, nous nous préparions à retravailler ensemble sur mon prochain projet.

Jean-Yves était bien plus qu’un directeur de la photographie. Comment évoquer la mémoire d’un homme doué d’une si grande soif pour toutes les expériences humaines ? A propos d’un morceau de musique, de Wagner ou Mahler, je ne sais plus, il m’avait dit un jour : « Il a bien fallu que le compositeur entende cette musique avant de l’écrire ».
Jean-Yves rêvait les images avant de les filmer, et ses rêves étaient comme les secrets d’ombres et de lumières d’un enfant magnifique.