Témoignage de Lionel Legros, directeur de la photo

La Lettre AFC n°121

Au-delà de notre première rencontre au bistrot de la rue Littré le jour mène où il " sortait de Vaugirard " et que je cherchais un stagiaire, c’est la Nuit surtout qui nous a réunis. De nos interminables marches nocturnes dans de lointains ailleurs, en Afrique d’abord, émaillées de rencontres improbables et toujours hasardeuses jusqu’à notre première errance dans le sud-est asiatique que nous avons découvert en même temps et qui nous a bouleversé et conquis, la vie s’écoulait sans que nous ne soyons plus d’une semaine ou deux sans se voir.

Assistant irréprochable, tu me " chouchoutais " en s’occupant absolument de tout, m’apportant un confort sans égal comme second puis comme premier. Ensuite, quand tu m’as " poussé " (gentiment) et que tu es passé cadreur sur Le Pion avec Christian Gion, nous gardions toujours cette souplesse qui nous permettait de s’adapter et de vivre des aventures exceptionnelles comme Passe-montagne avec Jean François Stevenin. Et pleines d’autres...
Puis tu as mené ta vie. Nos routes se séparaient.

Tu t’es beaucoup interrogé sur la façon de faire notre métier. As-tu joué ou t’es-tu égaré, quelques fois, dans des solutions somptuaires ? Je ne sais pas, mais je sais que tu le faisais avec conviction et c’est l’essentiel.

Après une longue parenthèse, j’ai eu le grand bonheur de te retrouver tout un après-midi du mois de décembre dernier. Le temps du souvenir bien sûr mais celui de partager à nouveau, sans avoir à l’expliquer, la connivence intacte qui nous unissait auparavant. Tu réussissais ton parcours américain et tu en parlais sans ostentation et sans vanité. Modestement dirais-je.

D’abord j’avais craint ces retrouvailles. On avait raconté tellement d’histoires à ton sujet...
Ces quelques heures partagées ont été un vrai plaisir. C’est comme retrouver sa famille perdue de vue depuis quelques années et qui ressuscite immédiatement le temps heureux de nos escapades.

Le sort est injuste et mon petit frère est parti. Erres-tu maintenant dans des pays magiques que tu voulais découvrir au coin d’un marché bourré d’épices ? T’es-tu arrêté le long d’une plage ou, des soirées chez tes amis gitans de la banlieue nord, as-tu fait tienne la recommandation de cette vieille femme qui te disait toujours : « Ne t’arrête pas, profite de ta vie, tu auras tout le temps de dormir quand tu seras mort ? »