Terre promise

Il a fallu plusieurs appels de mes camarades de l’AFC pour que je me décide à rassembler quelques impressions du tournage de Promised-Land d’Amos Gitaï. C’est à Eric Guichard et Nathalie que vous devez cette projection que je n’aurais pas initiée moi-même tant ce film est particulier.
D’abord, débarquer dans l’œuvre constituée d’un cinéaste qui a vécu des collaborations remarquables n’est pas un statut confortable, il y a nécessairement le désir d’être à la hauteur.
Je redis donc mon admiration pour Henri Alekan - Nurit Aviv - Yorgos Avanitis, tous collaborateurs d’Amos Gitaï à différentes périodes, et surtout à Renato Berta accompagnateur magnifique des premiers films de fiction et maître d’œuvre de deux grands films, Kadosh et Kippour, qui placent à un très haut niveau l’art de la collaboration. Pour ceux qui ont vu Kedma et Alila, il est difficile d’aller plus loin dans l’exercice du plan séquence, c’est l’unité de base de ces deux films et Gitaï semblait vouloir rompre avec cela. Le découpage n’est définitivement pas son exercice favori, il aime le plan qui se déploie dans l’espace et dans le temps. C’est un grand organisateur de situations documentaires, son allié absolu pour cela est le désordre.
La continuité narrative ne vient pas de la cohue ni d’une succession dans l’action, mais des situations dans lesquelles il plonge les personnages qui n’ont d’ailleurs que la situation pour s’exprimer, peu de dialogues, surtout pas de support psychologique.
Le point de départ de Promised-Land est un travail de Marie-José Sanselme sur les réseaux de traites des Blanches russes. On sait que l’immigration russe est majoritaire en Israël et ce genre de trafic est implanté et actif. Vendues, trompées, abusées ces filles venant de Moldavie, Ukraine, Sibérie sont emmenées en Egypte, et de là traversent le désert vers Israël passant des mains des Bédouins égyptiens à celles des Bédouins israéliens en camion, à dos de chameau, à pied, pour être vendues et dispersées en Israël et aux frontières.
Le constat de Gitaï, c’est évidemment que pour ce genre de trafics, l’association d’Israéliens et de Palestiniens fonctionne parfaitement, le premier état du script faisait d’ailleurs meilleur part à cela, mais l’extraordinaire casting de Man Moskovitz à fait basculer le film du coté des victimes et " le groupe de filles russes " comme nous l’appelions est devenu le sujet de Promised-Land. Les deux premiers jours de tournage ont été incroyablement éprouvants pour Gitaï et pour moi-même. Il ne connaissait rien aux petites caméras numériques, habitué au matériel lourd et stable du 35 mm ou du Beta numérique, tout lui semblait informe et sans contenu, il vérifiait le cadre renvoyé au moyen de HF sur des Watchman Sony, nous avions deux Panasonic DVX 100 utilisées par Angelo sur Inguélézi et par moi-même sur A tout de suite. J’avais beau lui avoir dit que cette caméra ne produisait pas du tableau, que le mouvement lui était nécessaire, il ne retrouvait aucun de ses repères de mise en scène.
Le troisième jour quelque chose s’est produit de son côté, Laurent Truchot avait fait un plan de vingt minutes à l’intérieur d’un vieux bus égyptien, des filles dormant, parlant, pleurant (plan qui ne sera pas dans le film) sans doute Gitaï a-t-il compris là, que cette caméra lâchée au cœur d’une situation précise où beaucoup de personnages étaient impliqués, transmettait les sensations dans un mouvement qui n’est plus celui du regard mais celui du corps, d’ailleurs je ne tiens pas à la caméra en hauteur d’œil mais plus bas en vérifiant l’image sur l’écran LCD, le point et le diaph toujours en mouvement. Nous avions fabriqué une butée sur la course folle du point de l’optique Leica, cela me permettait d’avoir quelques repères de l’infini à un mètre puis en dessous d’un mètre, j’étais équipée d’une ceinture à poche d’où un émetteur HF relié à la caméra transmettait l’image à Gitaï. Il me jetait dans les scènes comme un électron libre, la scène n’était pas devant moi mais autour donc les 360 degrés étaient toujours possible et les actrices libres de tout mouvement. Parfois Laurent Truchot cadrait également Gitaï, il voulait une caméra au centre et une dans une sorte de distance ou d’objectivité, cela n’est pas totalement abouti.
Le travail de lumière est très différent selon les scènes : feu, lampe à gaz, tâches électriques, fluos, camions d’intervention de pompiers israéliens. J’ai rencontré là-bas des collaborateurs passionnés et efficaces. Voilà, j’ai l’impression que mon corps n’a pas encore oublié le tournage, mes prises de risques physiques parfois (en rappel sur le marchepied d’un camion, sautant dans une pente du Sinaï à la frontière entre l’Egypte et Israël) et surtout techniques, me font plus d’effet maintenant que sur le moment. Je reste un peu sonnée par la tourmente Gitaï.
Je laisse le soin à Didier Dekeyser de parler des finitions du film qui sont une autre aventure.

Équipe

Assistant caméra : André Chemetoff
Machinistes
- " Grip " : Ofer Almog
- " Best boy " : Adi Borkin
Electriciens
- " Gaffer " : Berdougo Michael,
- " Electrician " : Adi Borkin

Technique

Caméras : Panasonic DVX 100
Laboratoires : Eclair
Etalonneurs : Serge Anthony (photochimie), Fabrice Blain et Philippe Boutal (vidéo)