Tonino Delli Colli

par François Catonné

par François Catonné La Lettre AFC n°147

La première rencontre avec un grand chef opérateur, c’est un moment essentiel dans la vie d’un assistant opérateur. Pour moi ça a été Tonino Delli Colli pour Lacombe Lucien de Louis Malle. Il en imposait tout de suite, mais en même temps pour tout le monde, c’était Tonino. Aucune distance avec ses assistants, et immédiatement une bonne relation avec tout le monde. Un personnage.
Louis Malle et Tonino Delli Colli (photo Pierre Zucca)
Louis Malle et Tonino Delli Colli (photo Pierre Zucca)

Lacombe Lucien n’était pas un film facile : presque tout à la main, ce qui était assez rare (Patrice Wyers au cadre) avec une des premières Arri BL (la n° 13 je crois). Pas terrible. On voit le système moderne des contrepoids sur la photo. Mais Tonino n’avait peur de rien dans le travail. Même de découvrir soudainement le son direct et l’obligation de devoir laisser le passage de la perche.

Il est arrivé à Paris avec une grosse valise de mizards (ça devait manquer en France ?). Il m’a donné un paquet de tulle en boule pour tramer les objectifs et a regardé avec ironie le sensito que je lui tendais, affirmant qu’il n’y comprenait rien. Il prenait immédiatement ses distances avec la technique et montrait à ses assistants incrédules qu’on pouvait être un très grand opérateur sans s’intéresser aux sensitos. Grande leçon.
Et il travaillait sans voir de rushes qu’il craignait de voir dégradés par une projection en province. Un compte-rendu aussi profond que : « C’était bien » lui suffisait.

Il n’était peut-être pas un opérateur qui mettait en avant son sens artistique, comme on pourrait le dire de Nykvist dont j’ai été l’assistant plus tard, ou de Storaro, mais il avait une audace, une habileté, une inventivité, une capacité à faire face à toutes les situations, un sens de ce qu’il fallait pour la scène, qui étaient exceptionnels. Un opérateur qui ne se fiait qu’à son intuition. Une très forte personnalité. Il ne faisait pas de théorie sur son métier, il faisait la lumière.

Je me le rappelle tournant sur le plateau, tirant nerveusement sur sa cigarette. Il voulait toujours trouver une idée avant le metteur en scène : c’est toujours bon pour la lumière. Un peu filou, et comme le disait Jean-Hugues Oppel, du culot et éventuellement de la mauvaise foi, mais toujours avec de l’humour et l’œil qui frise.

Sa carrière avait commencé très tôt. L’armée l’avait laissé tranquille parce qu’il était trop petit. Heureusement le cinéma ne s’occupe pas de la taille. Employé d’un studio, il préparait la lumière pour son chef opérateur, qui venait bien après lui sur le plateau. Mais rapidement il n’a plus supporté du tout que cet opérateur retouche SA lumière. Il était temps de devenir chef opérateur. Il a 21 ans, c’est en 1943.

Il m’a dit qu’un critique avait essayé de reconstituer sa filmographie, il en était à plus de 185 films, il y a plus de 10 ans de cela. Il avait été épaté d’avoir fait autant de films.
Mais autant que la quantité de films, c’est le nombre et la constance des collaborations avec de grands cinéastes qui sont stupéfiants, jusqu’à Fellini, rencontré tard et qui ne tournera plus qu’avec lui.
J’ai revu Tonino à Rome, il y a quelques années. A près de 80 ans il ne pensait qu’à tourner. Une vie de cinéma. Une vie vouée au cinéma.
Toute ma vie, Tonino est resté un repère. J’ai toujours gardé le tulle qu’il m’avait donné, je m’en sers souvent, et pour ne pas parler de diffusion devant une actrice, j’appelle ce tulle par le prénom de ce grand opérateur.

Note : je crois qu’il est né le 20 novembre 1923 et pas 1922 comme on l’a écrit plusieurs fois.