"Très chère culture, fer de lance de l’économie française"

La Lettre AFC n°239

Editorial, Le Monde, 8 janvier 2014
La culture coûte cher. Pas un mois sans qu’un rapport ne vienne rappeler le poids de la flotte culturelle et de ses différents vaisseaux dans notre économie en guerre. En septembre, c’était le cabinet Ernst & Young. En décembre, c’était au tour de la Cour des comptes de souligner le coût élevé du cinéma français. Mais si la culture coûte, elle rapporte aussi. C’est tout l’intérêt du rapport livré le 3 janvier par les inspections générales des finances et des affaires culturelles, qui chiffre la part de la culture dans la richesse nationale.

Un tel rapport, signé par deux ministères qui ont plus l’habitude de se chamailler que de travailler ensemble, est inédit. Critiqués dans les milieux artistiques pour avoir, deux années de suite, diminué un budget auquel la droite n’avait osé toucher, les deux administrations dévoilent l’ampleur des dépenses globales de l’Etat pour la culture : 13,9 milliards d’euros, quand les collectivités territoriales accordent 7,6 milliards d’euros.
D’un point de vue méthodologique, on pourra s’étonner d’y voir comptabilisé la totalité des crédits accordés à la télévision, dont la nature " culturelle " peut prêter à discussion. Reste que la facture pèse de façon non négligeable sur les dépenses publiques.

Effort de cohérence
Il convient dès lors de se montrer exigeant dans l’utilisation de ces crédits. Si l’on peut se féliciter de disposer, en France, avec les 28 millions d’euros de l’avance sur recette, d’un système qui donne sa chance aux cinéastes débutants, est-il normal de voir des professionnels confirmés continuer de profiter d’une " avance " qui n’en a que le nom puisque la quasi-totalité des films aidés perdent de l’argent ? Et si le dispositif des intermittents du spectacle soutient à raison des artistes à l’activité par définition fragile et discontinue, peut-on accepter qu’il profite à des employés permanents de l’audiovisuel ? L’effort de transparence de l’administration devrait, ici, s’accompagner d’un effort de cohérence.

Mais le principal mérite du rapport est de cerner la façon dont ces dépenses publiques contribuent à doper l’économie. Il chiffre ainsi à 57,8 milliards d’euros, soit 3,2 % du PIB, le poids de la culture dans la richesse nationale. Autant que l’agriculture et l’agroalimentaire, deux fois plus que les télécommunications, sept fois plus que l’industrie automobile. N’en déplaise aux adeptes de l’art pour l’art, le secteur ne fait pas qu’élever les âmes. Il nourrit 670 000 professionnels ; 870 000 si l’on y ajoute les emplois culturels dans les entreprises des autres secteurs.

Voir une infographie sur le site Internet du Monde.

Encore les deux inspections n’ont-elles pas comptabilisé les effets induits – hôtellerie, restauration, attractivité – toujours délicats à mesurer. Nombre de grandes villes savent pourtant les bénéfices qu’elles tirent de dépenses culturelles qui dépassent souvent 20 % de leur budget. D’autres ont fait de leur festival leur meilleure carte de visite. Et que dire des pays du Golfe qui rivalisent de chantiers culturels : ils ont compris que, pour attirer les cadres de haut niveau, de hauts salaires ne peuvent suffire. Dans la compétition internationale, la culture est bien un enjeu central. Or, dans ce domaine, la France joue en première division. Ce rapport rappelle qu’il importe qu’elle y reste.

(Editorial du Monde daté du mercredi 8 janvier 2014)