Tzar (Le Tsar)

de Pavel Lounguine, photographié par Tom Stern, ASC, AFC

par Tom Stern

De nouveau cette année, Tom Stern, ASC, AFC a enchaîné les tournages à travers la planète. Se consacrant la plupart du temps aux projets de son ami Clint Eastwood (Gran Torino et depuis Le Facteur humain), il s’est également autorisé un petit détour en Russie au coté de Pavel Lounguine pour les besoins de Tzar… Une chronique de la vie d’Ivan le Terrible présente cette année à Un Certain Regard…
Entre deux avions, il nous accorde cet entretien téléphonique.

Vous revenez juste d’Afrique du Sud…

Tom Stern : Je viens d’achever les prises de vues du nouveau film de Clint Eastwood, Le Facteur humain, qui raconte un moment de l’histoire de ce pays. Le film se situe en 1994-95, lors de l’organisation de la 3e Coupe du monde de Rugby. Nelson Mandela (interprété par Morgan Freeman) tente alors d’utiliser cet événement comme effet catalyseur pour la réconciliation et la renaissance de ce pays jadis déchiré par l’apartheid. Il est accompagné dans la distribution par Matt Damon qui interprète le capitaine de l’équipe de Rugby…

Comment définiriez-vous cette biographie d’Ivan le Terrible ?

Ce qui est amusant, c’est que ce surnom de " Yvan le Terrible " n’est pas la vraie traduction du terme original. En fait, en Russe, c’est plutôt " Yvan le puissant " . Le film de Pavel Lounguine est certes un film historique qui se passe au 16e siècle, mais avec une volonté très assumée de ne pas faire dans l’ennuyeux, tout en étant très réaliste…
Sur la mise en scène, par exemple, il a essayé d’être moderne, rythmé, refusant les longs plans d’ensemble narratifs. De même en lumière, j’ai essayé de n’utiliser à l’écran que des torches, car à l’époque les bougies restaient rares et uniquement réservées aux grandes occasions. D’une manière générale, j’ai essayé de traiter l’image dans un ton proche du clair-obscur des tableaux de la renaissance italienne…

Comment et où avez vous tourné ces décors chargés d’histoire ?

La première chose que Pavel Lounguine m’a expliquée en arrivant, c’est qu’il ne se lance jamais dans un tournage en Russie si les lieux sont éloignés de plus de 10 km ! En découvrant peu après l’état catastrophique des routes et des infrastructures de communication dès qu’on sort des grandes villes, j’ai tout de suite compris son point de vue…
On a donc rassemblé tous les lieux du film dans une petite ville à 200 km de Moscou baptisée Suzdal. C’est un lieu magique, qui respire littéralement l’esprit et la culture russes. Classé au patrimoine mondial de l’humanité, cette ville regorge de monastères et d’églises. L’un des monastères nous a permis notamment de recréer le Kremlin de l’époque.

Combien de temps avez vous tourné ?

Le tournage s’est déroulé sur cinq mois, de février à juin 2008, en profitant du changement de saison pour les besoins de l’histoire. En effet, le film démarre en plein hiver et se termine en été… Un tournage bien plus long que ce à quoi je suis habitué avec Clint (en moyenne, à peine une grosse trentaine de jours !).
Mais c’est un peu inévitable, vu le grand froid et les imprévus assez fréquents là-bas dans l’organisation. Autant, sur un film américain, les gens se baladent tous en permanence avec des tonnes de papier ou tout est sur préparé et indiqué, en Russie, c’est beaucoup plus… souple. On rassemble tout ce dont on a besoin, et puis on avance… et on s’adapte !

Et avez vous été satisfait du matériel, et de l’équipe ?

Le matériel est vraiment bon, et les techniciens sont de bon niveau. On sent beaucoup une certaine influence allemande, à l’image de la marque Arri qui est extrêmement bien distribuée et présente à la fois en caméra et en matériel d’éclairage… Les studios Mosfilms à Moscou ressemblent désormais plus aux installations dont on peu bénéficier en France ou en Afrique du Sud par exemple…
J’ai découvert aussi un excellent laboratoire (Salamander), labellisé Kodak Image Care, et dont les installations sont rutilantes. On y a fait l’intégralité du film, avec une postproduction numérique dont l’étalonnage a duré environ cinq semaines. J’ai eu l’occasion d’utiliser des masques pour modifier localement le contraste et essayer de faire ressortir les personnages, plus contrastés que par rapport à l’arrière plan. Une technique que je trouve payante car elle donne une sorte de patine d’époque très subtile à l’image…

Il y a une longue séquence au début du film tournée au Steadicam, pouvez vous nous dire comment elle est faite ?

Cette transformation de cette espèce d’ermite un peu fou et illuminé en tsar a pris quatre jours à filmer. On a raccordé plusieurs plans soit de manière visible, soit en les assemblant invisiblement en numérique… Le plan passe de lieux en lieux, en se terminant même en extérieur sur une foule de figurants d’environ 500 personnes, après un trajet d’environ 300 mètres !
Pour éclairer ce trajet à l’écran, j’ai utilisé pas mal de sources latérales…
En fait, on essaye toujours de s’adapter au décor, à ses contraintes propres avec l’inspiration… Le résultat pour moi est une sorte de musique visuelle à chaque fois unique.
Mais c’est un plan qui met surtout en valeur l’extraordinaire travail des costumiers et de l’équipe maquillage… Un travail dont j’ai pu constater le niveau d’excellence inégalé en Russie. Je pense que tout cet artisanat a su là-bas conserver un savoir faire fabuleux – tout en restant économique – comparé aux problèmes rencontrés en la matière sur les plateaux européens ou américains…

Et avez vous tourné avec votre série d’optiques habituelle ?

En fait, je ne savais pas trop si l’équipe serait à même de gérer au mieux les optiques anamorphiques dans des conditions aussi rudes… J’ai préféré donc tourner en Super 35 avec des séries Zeiss grandes ouvertures. A vrai dire, je tourne presque toujours entre 2.8 et 4, et je n’utilise pas vraiment ces optiques à pleine ouverture. Ça me permet de mieux contrôler le contraste et les " flares "…

Avez vous vu Star Trek de J.J. Abrams ? Les " flares " anamorphiques y sont carrément érigés en principe de mise en image !

Non, pas encore. Mais... c’est amusant ! Moi qui ai passé une partie de ma vie à les éviter avec les optiques Scope Panavision, c’est étrange de voir qu’un réalisateur y soit tant attaché ! Je sais que Vantage Films a même fabriqué un filtre spécial pour le recréer artificiellement quand on ne tourne pas en Panavision Scope. Si ça devient " fashion ", et bien pourquoi pas… La seule chose, c’est peut être de savoir bien le doser ?

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)