Un copain d’abord

Par Alain Gaillard, assistant et cadreur de Paul Bonis

La Lettre AFC n°256

Qu’est-ce qui a pu amener un jeune homme orphelin d’un père mort en héros de la résistance et qu’il n’a pu connaître, placé dans un collège de la montagne forézienne pour y devenir curé, à troquer la soutane pour la caméra ? Avant tout, sans doute, une inlassable curiosité pour le monde, les humains comme les techniques.

Tout passionnait Paul et j’ai toujours vu sur sa table des livres ouverts et annotés sur les sujets les plus divers. Une curiosité sans révérence, pour cet esprit libre, allergique à tous les snobismes, anar tendance Brassens, nourri aux évangiles mais réfractaire aux dogmes.
Dans son métier, cela se traduisait par le goût des risques pris, audacieux, limite casse-cou. S’il avait le soutien du metteur en scène, et beaucoup lui ont été très fidèles (Pierre Zucca, Jean-Louis Bertuccelli, Michel Sibra, Claude Grimberg...), cela donnait souvent de très belles réussites, notamment en téléfilm où l’on est d’ordinaire plus timoré.

Son goût, sa formation en pleine nouvelle vague et son sens aigu de la logique le conduisaient à privilégier les lumières naturelles même si paradoxalement avec Pierre Zucca, son ami de toujours, c’est un monde d’artifices sophistiqués qu’ils ont honoré. De Zidi à Zucca, c’est tout Paul, un peu cinéma Z et amateur de causes désespérées.
J’ai rencontré Paul en 1982 en tant qu’assistant sur un tournage de Pierre Zucca et en 1988, il m’a fait débuter comme cadreur presque à mon corps défendant ; après m’avoir donné les dates du tournage, il décréta : « Bon, tu le fais au cadre ! ». On n’est pas toujours autant aidé...
C’est avec Paul, sur un tournage de J. L. Buñuel, que j’ai dû faire une de mes plus grosses bourdes d’assistant. J’étais plutôt du genre à me mortifier ; le soir, il m’invita au restaurant pour "fêter" ça.

Paul n’a pas eu le temps de connaître le numérique d’aujourd’hui en tant qu’opérateur mais cela l’aurait passionné même s’il continuait à « rêver en argentique ».
Depuis sa retraite au Bono, dans le golf du Morbihan, il animait un ciné club, "La Luciole", aux choix éclectiques, toujours guidé par la soif de découvrir.
Gravement handicapé par la maladie ces dernières années, Paul avait écrit à l’aide d’un programme de reconnaissance vocale, les souvenirs de son parcours d’assistant et de chef opérateur ; j’y puise ce petit conseil : « Le soir chez vous, n’allumez pas les lumières trop tôt, regardez plutôt comment se comporte la lumière naturelle qui se retire comme à regret. »

Au revoir Paul et merci !