Une expérience théâtrale passionnante

par Rémy Chevrin

par Rémy Chevrin La Lettre AFC n°195

Il y a quelques semaines, le réalisateur Christophe Honoré, avec qui j’ai eu l’occasion de travailler sur 3 films ces dernières années, m’a proposé de le retrouver pour un projet de tout autre ordre. Il me proposait de créer les lumières et l’univers lumineux d’une pièce dont il avait le choix et que le Festival d’Avignon lui proposait de monter pour l’édition 2009.
Il s’agit d’un texte de Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue, drame en prose écrit en 1835.

Je n’avais eu jusqu’à ce jour aucune expérience réelle du théâtre en tant qu’éclairagiste (c’est le terme officiel), bien qu’élevé dans ma jeunesse dans une famille de comédien.
C’est avec une grande excitation que j’ai répondu favorablement à Christophe en me disant que mon inexpérience et ma naïveté dans ce milieu seraient probablement une force. Ne pas savoir, inventer sans connaître, ou tout du moins sans idées préconçues et sans règles, permettraient de créer notre propre écriture avec Christophe. Mon expérience professionnelle personnelle de cinéma est une base intéressante qui a permis alors de faire rencontrer deux visions, mais aussi de mélanger les regards et les outils que théâtre et cinéma nous proposent.

Photo Rémy Chevrin

Longtemps lors des premières répétitions, j’ai cru m’être engagé et ne pas être capable de mener à bien la tâche que l’on m’avait confiée, d’autant plus que la pression était forte : le " in " d’Avignon avec 17 représentations à l’Opéra Théâtre de la ville dans le cœur du théâtre français au milieu de très grands professionnels dont j’admire le travail depuis de nombreuses années. Le mien allait être jugé par les maîtres.

Photo Rémy Chevrin


Christophe Honoré m’a tout de suite mis à l’aise en me demandant d’inventer en m’amusant, en faisant rejoindre sur la scène du théâtre le regard que j’avais l’habitude de lui donner lors de nos collaborations cinématographiques. Faire se rencontrer les outils théâtraux et cinématographiques sur la scène, mélanger les regards, construire une écriture commune théâtre/cinéma. On est confronté alors à la problématique du gros plan, à celle de la pénombre, celle du plan large mais aussi à celle du spectateur et de la manipulation de son regard dont je connais un peu les mécanismes au cinéma.

Photo Rémy Chevrin


Je ne résumerai pas la pièce mais on peut dire qu’il est question de tyrannie, d’amour, d’espionnage et de secrets, d’aveuglements et de crimes.
Ces mots ont été pour moi les catalyseurs de ma réflexion sur l’espace de lumière à créer face la scénographie proposée par Samuel Deshors.
Comment appréhender un texte et un personnage ?
Comment construire un espace lumineux et des effets qui prennent sens dans cette pièce ?
Christophe m’a laissé une grand liberté de réflexion (le temps !!!) et une grande liberté de création (la confiance !!!).
Quelle chance alors de pouvoir passer deux semaines pleines à Créteil lors des premières répétitions à regarder et écouter mais surtout comprendre le sens des mots et du texte !!!
Je crois même que c’est probablement là où j’ai trouvé mon inspiration, laissant les acteurs se déplacer dans un décor éclairé par les services et me consacrant uniquement au cœur même du travail de Christophe sans contrainte technique, juste un carnet de notes en main et mes yeux pour percer chacun des personnages…

Photo Rémy Chevrin

Ce n’est qu’au bout de la troisième semaine de répétition à Créteil que j’ai commencé en compagnie de mon régisseur lumière Thierry Charlier, magnifique compagnon de route et de conseils, à mettre en place la structure de la lumière, passant du noir à la pénombre, de la révélation au mystère, du mensonge à la vérité.
La troupe s’est déplacée deux semaines avant la première d’Avignon à l’Opéra Théâtre de la ville où nous avons réglé les dernières lumières et travaillé sur la conduite lumière et les effets : la conduite lumière étant la mise en place de l’enchaînement des effets et de leur apparition dans le rythme de jeu des acteurs. Elle est l’âme même du sens de la lumière jouant sur les différentes révélations qu’elle devait apporter au texte et à l’intrigue.

Quel bonheur de travailler à l’opposé de la méthode habituelle que je connaissais des plateaux de cinéma, où le doute, la déconstruction/reconstruction ne peuvent exister car sujets à de trop fortes pressions de temps et d’argent. Construire en connaissant et en ayant eu le temps d’assimiler la mise en scène et l’espace dans lequel les acteurs se déplacent.

Nous avons opté pour un choix de sources dans le champ, sources brûlées parfois brûlantes, permettant de révéler un gros plan ou un élément important jouant le décor.

Photo Rémy Chevrin


J’ai utilisé des perches à lumière que portent un des personnages ou un technicien du théâtre, déclarant dans le même temps la construction de l’image de l’émotion et de l’espace.
Rien vraiment de caché, parfois très déclaré comme un travelling de tension où le projecteur visible des spectateurs nous emmène dans une tension de l’ombre et de la lumière ; sans oublier une boule chinoise, des fluos dans le champ, du 6 et 4 kW HMI en jalousie, mais aussi girafe lumière de 1 kW Fresnel au centre du décor (un clin d’œil au gros plan des années 1950 du cinéma français).
L’Octaplus de Cinelum équipé d’un bug 2 kW aussi fut un élément de scénographie et de lumière fondamental entouré de 2 space lights montant et descendant au rythme des scènes au milieu du décor comme un masque géant du tyran espionnant…
Pour ceux qui voudraient découvrir le travail de Christophe Honoré et notre collaboration, la pièce se joue en région parisienne du 27 au 30 janvier à la Maison des Arts et de la culture de Créteil (MAC) puis du 17 au 20 février au théâtre de la ville de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Une vidéo devrait être disponible dans les mois à venir car la pièce a été enregistrée en direct d’Avignon pendant le festival (ce pourrait être aussi l’occasion de réfléchir sur ce que représente et engage l’adaptation d’un travail de lumière au théâtre, ce travail devant être retranscris pour le petit écran…)
Quelles adaptations ou quels aménagements possibles pour respecter l’intégrité de l’œuvre voulue par le metteur en scène (cadre et lumière compris ?

Je voudrais remercier chaleureusement Marie-José Collet de Cinelum et Laurent Kleindienst de TSF Grip et Lumière pour leur participation très active autour du projet ainsi que mon équipe de tournage qui s’est très gentiment rendue disponible afin de tourner les images dont nous avions besoin pour le spectacle.
Merci Pierre Chevrin, Mikael Monod, Antonin Gendre, Pascal Delaunay, Antoine Aybes Gilles…
Tous mes remerciements aux équipes d’Avignon, volantes, techniques et administratives (Naid, Tito, et tous les autres).
Une rencontre formidable avec l’équipe de plateau sans qui je n’aurais pu construire ce travail : Pascal Rivaud, Thierry Charlier, et Sylvain… et tous les autres.
Ma grande reconnaissance à Hortense Archambault et Vincent Baudriller qui m’ont fait confiance et surtout à toi Christophe Honoré qui m’a conduit là où tu voulais aller avec ton entière confiance.

Enfin je tiens à souligner le grand bonheur de la rencontre avec les comédiens du spectacle qui m’ont si gentiment donné leur confiance dans la mise en place de la lumière.
Porté par le texte mais surtout porté par un " cast " fort entouré de Clotilde Hesme, merveilleuse Tisbe donnant sa vie pour sa rivale, Emmanuelle Devos, femme trompée et digne devant la mort. Ces deux merveilleuses comédiennes portent le texte en prose de Victor Hugo au sommet de leur émotion.
Sans oublier leurs camarades de scènes, Marcial Di Fonzo Bo, terrible tyran construit de despotisme et de grotesque devant le pouvoir, qui campe un homme détruit par l’exercice du pouvoir, mais aussi Vladislav Galard, amant et Julien Honoré, espion rodant dans les secrets de la forteresse du tyran. Et tous les autres... formidables... merci d’avoir partagé cette chaleureuse expérience.