Woody Allen, Spielberg et Tarantino n’ont plus de raisons de ne pas tourner en France

par Nathaniel Herzberg

La Lettre AFC n°183

Le Monde, 19 décembre 2008

L’histoire est connue. Pour son dernier film, Woody Allen rêvait d’arpenter les rues de Paris. Mais les conditions de production dans la capitale française étaient trop coûteuses. Alors il a changé de projet, de scénario, de comédiens et de lieu de tournage. Il a réalisé Vicky, Cristina, Barcelona, produit avec la bénédiction et les aides de la région catalane.

Si, en 2009, le cinéaste américain retrouve la France, il le devra en bonne partie à la crise. Au nom de l’indispensable relance de l’activité, l’Assemblée nationale a en effet adopté, mercredi 17 décembre, dans le cadre de la loi de finances 2009, une mesure que l’industrie cinématographique réclamait depuis longtemps : un crédit d’impôt pour les productions étrangères. Cette disposition avait été votée à l’unanimité par les sénateurs le 9 décembre.

Son principe est simple. Il permet au producteur de réduire son impôt sur les sociétés d’un montant correspondant à 20 % des dépenses engagées sur le film. Le même dispositif, créé en 2004 pour les seuls films français, avait permis la relocalisation d’une partie de la production nationale, partie trouver des tarifs plus intéressants en Europe de l’Est.

La mesure est assortie de conditions. Les films doivent « comporter, dans leur contenu dramatique, des éléments rattachés à la culture, au patrimoine ou au territoire français ». Un barème de points sera instauré par décret, qui permettra de favoriser les projets utilisant un personnage littéraire français, un scénario faisant référence à la société française, un décor patrimonial, des rôles en langue française... Les films devront engager un minimum de 1 million d’euros de dépenses et prévoir cinq jours de tournage. Seront exclus du dispositif les films pornographiques et « d’incitation à la violence ». La mesure est par ailleurs plafonnée. Le crédit d’impôt ne pourra dépasser 4 millions d’euros. En outre, pour ne pas favoriser l’inflation des cachets des stars, les rémunérations des artistes seront prises en compte « par référence à la rémunération minimale prévue par les conventions collectives ». Donc bien loin des sommes réellement dépensées.

Hémorragie

Pour la Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam), il y avait « urgence ». Depuis quelques mois, son président, Thierry de Segonzac, battait la campagne pour dénoncer « l’hémorragie » des investissements étrangers. Après les tournages, en 2005, de Marie-Antoinette de Sophia Coppola et Da Vinci Code de Ron Howard, la France n’avait plus accueilli de ces grosses productions américaines, réputées dépenser 300 000 euros chaque jour. De plus de 50 millions d’euros en 2005, les montants de tournages ainsi engagés sont passés à moins de 10 millions d’euros en 2008.

Entre-temps, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Hongrie et plusieurs régions espagnoles ont mis en place des incitations fiscales. Résultat immédiat : Quentin Tarantino a emmené ses acteurs américains et français tourner à Berlin Inglorious Basterds, son dernier film, pourtant situé en France pendant la seconde guerre mondiale. Un exemple parmi d’autres. Du château de Pierrefonds pour Narnia 2 au site aéronautique de Toulouse pour Casino royale, en passant par le village bourguignon de Noyers-sur-Serein (Stardust de Matthew Vaughn) ou la multitude de panoramas parisiens (Munich de Steven Spielberg, Get Smart de Peter Segal...) : la commission nationale du film, qui assure la promotion de la France comme terre de tournage, dispose d’une longue liste de sites finalement abandonnés en raison de coûts de tournages jugés prohibitifs.

Selon les mêmes sources, plusieurs projets n’attendaient que le vote de la loi pour fondre sur la France. De Jackie Chan à Disney, de Paramount (comédie de vampires) à Universal (Despicable Me, film d’animation à gros budget), les producteurs étrangers investiraient au moins 100 millions d’euros dès 2009. Le dispositif coûterait alors 25 millions d’euros à Bercy. Mais il rapporterait dans le même temps 40 millions de recettes fiscales (TVA, taxe professionnelle, impôts) et sociales. « Une mesure de croissance », jurait Thierry de Segonzac depuis quatre ans.
(Nathaniel Herzberg, Le Monde, 19 décembre 2008)