36e Festival International du Film de Fajr
Par Philippe Ros, AFCGrâce à Brice Cauvin, réalisateur ayant souvent participé à des ateliers cinéma dans les universités iraniennes, l’AFC a été contactée mi-janvier par le Festival qui souhaitait accueillir un directeur de la photo pour qu’il propose trois interventions. Et bien évidemment, comme d’habitude, Jean-Noël Ferragut a relayé l’information en temps réel.
Je ne crois pas que nous ayons été nombreux à répondre, j’ai envoyé les documents demandés et j’ai finalement reçu une réponse positive trois semaines avant le festival.
D’abord quelques précisions sur ce festival : il a été créé en 1982, sous la supervision du ministère de la culture. Il se tient tous les ans au mois de février, à l’occasion de l’anniversaire de la révolution iranienne (Fajr signifie aube en persan et en arabe). Autant dire qu’il s’agit d’un festival très "marqué" au départ et que participer à un tel événement dans un tel contexte m’a fait quelque peu hésiter. Mais une discussion avec Brice Cauvin m’a permis de comprendre que les choses n’étaient pas si simples. D’autre part, le cinéma iranien est très vivant et produit des œuvres remarquables.
Le festival se déroule principalement dans les derniers étages d’un grand multiplexe, le Charsou, qui possède une agora suffisamment large pour abriter les stands du marché du film et permettre une très bonne convivialité. Toutes les projections sont d’excellente qualité.
Certains films sont projetés dans un grand et magnifique cinéma à l’ancienne : le Felestin (Palestine).
J’ai été reçu par Alireza Shojanouri, responsable du "Cinematic Experience Exchange", il m’a confié à son équipe composée de guides et de traductrices absolument formidables. J’étais accompagné et aidé lors de tous mes déplacements entre le festival et les universités ou cinémas où j’intervenais.
La seule frustration venait de la multitude d’interviews que je devais donner qui m’empêchait de voir tous les films en compétition. En plus des chaînes officielles, j’avais en moyenne trois à quatre interviews par jour pour une multitude de radio et de sites web, signe d’une grande effervescence intellectuelle. Il était très difficile de refuser car je pouvais sentir une réelle demande d’explication de mon travail de directeur de la photo (et notamment de mon travail sur Océans, qui est un documentaire très célèbre en Iran).
J’ai quand même eu l’occasion de voir de nombreux films dramatiques iraniens et on ne peut qu’être admiratif de la réalisation, de la cinématographie et surtout du jeu fin et mesuré des acteurs. Mais il est certain qu’il y a aussi d’indéniables talents mis en œuvre par beaucoup de réalisateurs pour contourner la censure.
Certains journalistes américains présents au Festival, comme Deborah Young, comparent ces talents à ceux employés aux Etats-Unis durant plusieurs décennies pour contourner le fameux Code Hays. La comparaison est bonne car les réalisateurs arrivent à traiter de sujets sensibles, notamment dans les relations hommes-femmes ou dans les problèmes économiques, sans que le spectateur ressente cette censure.
Mais j’ai pu voir aussi des films de guerre qui n’auraient rien à envier aux films de Chuck Norris sur le plan du manichéisme et de la propagande, la différence étant qu’ils utilisent maintenant une profusion d’effets spéciaux numériques.
J’avais préparé le voyage en contactant Tooraj Mansoori, le président de l’Association des directeurs de la photo iraniens (IRSC) qui avait fait partie d’un groupe invité lors du Micro Salon 2016 à l’initiative de Mathieu Poirot-Delpech, AFC, ainsi que Gholamreza Azadi, l’ancien président dont je connaissais le fils Payam Azadi.
L’accueil à Téhéran a été en fait très représentatif de tout ce qui a suivi : extrême gentillesse et grand professionnalisme de toute l’organisation du festival et, du côté de l’association des directeurs de la photo iraniens, une réception très, très chaleureuse. Dès la deuxième journée, j’ai été en effet reçu par tout le bureau dans le local de l’association.
Une rencontre qui a duré toute la matinée, avec de nombreux échanges sur les difficultés qu’ont tous les directeurs de la photo avec la chaîne numérique, difficulté de suivre l’arrivée incessante de nouveaux outils et problème de reconnaissance du rôle de l’opérateur, notamment au moment de l’étalonnage. Comme partout ailleurs, peu d’étudiants envisagent de commencer par être assistants réalisateurs ou assistants opérateurs, seule est envisagée la finalité d’être réalisateur ou directeur de la photo, jamais l’apprentissage. J’ai pu le constater dans le questionnaire sur les ambitions des étudiants que je fais toujours en introduction de mes conférences. C’est d’ailleurs récurrent dans tous les pays où je fais des ateliers.
Accompagné par Farzin Khosrowshahi et Mohammad Aladpoush, membres du bureau de l’association, j’ai consacré la deuxième partie de la journée à la visite d’une maison de postproduction, PCA Lab, qui a collaboré notamment sur des films d’Abbas Kariostami (scan et restauration) et de Ashgar Farhadi (Le Client). Une compagnie très importante, très professionnelle avec une vraie tradition de l’argentique.
De vrais échanges ont eu lieu, notamment avec Hootan Haghshenas (qui m’a montré son Arri Scan et ses Arri Laser), le responsable du département étalonnage, ainsi qu’avec une coloriste très talentueuse : Mana M. Taher qui m’a permis de constater que les producteurs iraniens avaient les mêmes problèmes que partout ailleurs pour évaluer la durée nécessaire pour une session d’étalonnage.
Fariborz Kamrani, le directeur de la société, m’a ensuite fait visiter tout le complexe car la postproduction est dans le même pâté de maisons que des salles de cinéma magnifiques : Mojtame Cinema Markazi. Fariborz possède aussi une collection de vieilles caméras dont il est très fier.
La rencontre m’a très rapidement donné l’idée de changer mon programme de conférences et, à la place de la dernière, nous avons pu organiser avec Tooraj, Farzin et Mohammad un panel très intéressant avec plusieurs représentants du bureau de l’association iranienne des directeurs de la photo, des réalisateurs et des acteurs.
A cette occasion, la salle du Felestin était pleine et on peut dire que les problèmes actuels du métier se ressemblent partout. Les acteurs se plaignent notamment du nombre de prises sans fin, les réalisateurs dénoncent le mythe du numérique qui simplifierait le tournage et diminuerait la préparation.
Pour les deux premières conférences à l’Irib College et à la Soureh Art University, j’ai aussi bénéficié de salles pleines dans les deux universités. Elles ont été poursuivies par de longues discussions avec tous les étudiants. En amont, dirigés très sérieusement par M. Shahab Esfandiari, le directeur du département académique, tous les organisateurs étaient à l’écoute pour trouver des solutions techniques pour rendre la conférence la plus attractive possible. Dans ces deux premières conférences, j’ai encore bénéficié de l’aide précieuse de Gholamreza Aza, l’ancien président de l’IRSC, et de Farzin Khosrowshahi.
Le mercredi, j’ai été invité à l’ambassade de France en tant que membre de la délégation française composée, entre autres, de Rithy Panh et de Jean-Pierre Léaud (Olivier Mégaton était parti la veille).
Accueil très agréable qui m’a permis de m’entretenir avec l’attaché culturel de la situation en Iran. La menace du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien était déjà d’actualité et c’était l’un des sujets de discussion.
J’ai trouvé que la France s’honorait particulièrement d’avoir invité ce soir là le réalisateur Jafar Panahi. Il lui est toujours interdit de réaliser des films ou de quitter le pays jusqu’en 2030 ! Ce qu’il a réussi à contourner avec ses derniers films comme Taxi et Trois visages.
Au vu du buffet et notamment des boissons alcoolisées, je dois dire que c’était aussi une très bonne étape pendant ces dix jours où la sobriété était obligatoire.
A propos du festival, les attachés d’ambassade soulignaient la contradiction entre une certaine liberté de ton dans le cinéma et la situation politique. Le cinéma est populaire en Iran et même si, lors de la révolution, plus de 250 salles ont été brûlées ou fermées, les gouvernements successifs ont mis en place une politique de soutien à la production. Ce que l’on éprouve en étant présent dans ce festival, c’est un conflit entre des forces aspirant à la liberté et le contrôle du pouvoir islamique dans la vie de tous les jours.
Dans l’enceinte du festival, ne serait-ce l’omniprésence des voiles sur la tête de toutes les femmes, il est honnêtement difficile de voir la différence entre un public occidental et celui-là. Les codes vestimentaires des participants sont vraiment identiques à ceux de l’Europe.
Et lors des projections, s’il n’y avait pas le générique du festival qui commence toujours par un carton noir avec "In the name of God", il serait très facile d’oublier que nous sommes dans une république islamique.
Tous les participants, étudiants et bénévoles, que j’ai rencontrés étaient toujours en demande de discussion. J’ai été très surpris par la liberté avec laquelle tous s’exprimaient.
Peu de présence de personnalités politiques iraniennes dans l’enceinte du festival et dans les salles de cinéma, sauf à l’arrivée d’Oliver Stone, invité star du festival. Evidemment, Oliver Stone remplissait le rôle du critique de Trump et de l’Arabie saoudite, grand ennemi de l’Iran. Le réalisateur américain s’est fendu de remarques acerbes sur l’atlantisme du président Macron, « ce jeune homme qui n’a pas beaucoup le sens de l’histoire ou de la mémoire de la grande tradition de la France ».
Il est clair que ce festival sert les intérêts du pays mais, et c’est là où réside la contradiction, il est aussi un formidable lieu d’échanges.
Aussi je conseille vivement aux membres de l’AFC de participer à ce festival.