3CP journal, première partie

par Denis Lenoir

by Denis Lenoir AFC newsletter n°142

Los Angeles, samedi 5 mars 2005
Le Speedgrade d’Iridas n’est pas prêt, même en beta, je le testerai une autre fois. Je me suis tourné du coup vers le 3CP (Cinematographer’s Color Correction Program), un autre et nouveau lui aussi système d’étalonnage d’images de référence à destination de la postproduction. C’est le directeur de la photographie d’origine russe Yuri Neiman qui est à l’origine de ce produit, suite logique et directe de son travail sur les chartes et leur usage au télécinéma au travers de sa société Gamma & Density. Je retrouve Yuri et ses associés Sacha et Diego à leur bureau de Formosa Avenue. Yuri me fait une brève démonstration et je suis frappé d’emblée par l’élégance et les promesses du produit : une fenêtre simple mais aux possibilités nombreuses, image de référence en haut à droite, image retravaillée en haut à gauche, outils en bas à gauche, waveform, vecteurscope et autres courbes et histogrammes en bas à droite. Mais plus sur les outils quand j’étalonnerai mes premières images.
Grosse déception en revanche pour ce qui concerne la commercialisation envisagée, me voici de retour au premier Kodak Preview : l’ensemble appareil photographique numérique / ordinateur portable et logiciel / moniteur est à la location, de plus avec un technicien pour le faire fonctionner. Je me mets aussitôt en rogne, expliquant une fois encore que la location ne m’intéresse pas et que le prix de vente, s’il y a vente un jour, doit rester bas. Yuri envisage également d’autres modèles de commercialisation, logiciel gratuit si le téléciné se fait chez lui ce qui me semble absurde, location à la production pour le premier travail puis logiciel gratuit pour le chef opérateur. Aucun ne semble convaincant. De nombreux systèmes sont ou vont être en concurrence et c’est probablement celui qui aura la commercialisation la plus astucieuse qui l’emportera.

Mardi 8 mars
Journée d’essais maquillage dans un décor d’hôtel construit pour la série télévisée The West Wing. Seulement deux acteurs, les autres ne sont pas encore choisis, j’apprendrai en milieu de journée qu’à cause de ce retard du casting le tournage est reculé d’une semaine. Je me sers en partie de l’éclairage laissé là et pas encore démonté, celui notamment du balcon et de l’immense découverte photographique de ce que je crois reconnaître être Miami. Diego installe son équipement pas loin, un petit chariot avec moniteur LCD Apple calibré sur celui du télécinéma du projet précédent, puis prend quelques photos numériques sans gêner ni retarder le déroulement de la journée. Quand j’ai un moment je vais à sa station de travail et étalonne rapidement les images qu’il a prises. Comme il s’agit d’essais maquillage coiffure et costume, je reste le plus droit possible, corrigeant juste un peu les peaux (toutes deux afro-américaines). Nous filmons aussi un gros plan et je fais quelques photos numériques de la future victime du pilote, nous aurons en effet besoin de tirages photographiques de son cadavre dans le bureau du " district attorney " et nous filmerons dans ce dernier avant la ruelle où elle mourra. Eclairage mercure raccord avec celui du lieu raccord que j’accentue au 3CP, je joue aussi pas mal sur le contraste et obtient une image beaucoup plus forte que celle filmée. Ici le système prend du sens, en effet si je n’étais pas capable d’aller au télécinéma une telle image dirait beaucoup au coloriste.
Yuri veut absolument être payé pour les essais et demande 1 500 dollars à la production pour deux semaines. C’est très raisonnable mais encore trop pour le producteur à qui le retard du tournage coûte évidemment une fortune.

Mercredi 9 mars
Télécinéma à Encore. Un monde fou dans la salle, le coloriste qui fera les rushes, celui qui fera l’étalonnage final - à ce propos j’ai le très grand plaisir de découvrir que chaque jour et en un seul passage ils vont sortir simultanément un HD très peu corrigé à destination du " tape to tape " final et un HD lui très travaillé, très contraste et très sombre si je le souhaite pour les rushes et le montage. Progrès incroyable sur l’état précédent où pour ne perdre aucune information sur la bande magnétique on avait toujours droit aux rushes les plus plats du monde.
Un technicien de Encore, avec Diego, essaye de faire entrer dans le da Vinci 2K dont nous nous servons les images de référence travaillées la veille, le " postproduction supervisor " de la production et son assistant, mon assistant opérateur et moi-même. Pendant une heure nous bavardons pendant que mode d’emploi à la main l’expert de da Vinci fait tout son possible. Paul, l’assistant opérateur, évoque un chef opérateur qui fait des tirages papiers qu’il envoie avec les rushes. A quoi je réponds que je préfère donner une image à regarder sur un écran (par e-mail ou Cdrom) même si il n’y a aucun calibrage entre l’écran de mon ordinateur et celui sur lequel le coloriste la regardera. Je trouve en effet qu’en restant dans le même support j’ai plus de chance de communiquer quelque chose d’approchant, la dynamique d’un tirage papier ayant à mon sens très peu à voir avec celle d’un écran. Yuri qui travaille sur le sujet depuis des années abonde dans mon sens ainsi que le coloriste d’Encore. Une heure passe et finalement, le technicien maison jette l’éponge, il lui manque quelque chose pour intégrer les images, il l’aura bientôt dit-il.
Pendant ce temps, nous avons découvert avec plaisir que, de fait, le rendu du moniteur sur lequel le coloriste regarde les images fournies est extrêmement proche de celui du moniteur sur lequel je les avais travaillées la veille (et que nous avons apporté) et que le coloriste peut donc s’en inspirer directement. Cela conforte mon hypothèse selon laquelle, pour l’usage que j’en fais ici c’est-à-dire l’envoi d’images guides ou de référence en vue de rushes, tout système exigeant un calibrage entre le moniteur sur lequel je travaille (sur le plateau, chez moi ou dans une chambre d’hôtel) et le moniteur sur lequel le coloriste regardera mon image guide est très peu pratique et surtout de mon point de vue superflu. Je ne dis pas que la possibilité d’un tel calibrage est inutile car, si on utilise le système à d’autres fins (étalonnage de différents éléments d’effets spéciaux, étalonnage final " à distance " si l’éloignement géographique nous interdit d’être présent au laboratoire sont les deux premiers exemples qui me viennent), il devient absolument nécessaire.
Pour revenir au 3CP lui-même, je découvre qu’en plus de sa très grande simplicité d’utilisation de mon côté de la chaîne - c’est vraiment un outil très agréable à manier, tout a été pensé visiblement par des techniciens qui sont aussi, et avant tout, des utilisateurs - il est aussi très simple pour le coloriste à l’autre bout : en plus de l’image de référence il reçoit une copie du vectorscope et du waveform monitor, autre façon de retrouver ce que j’ai fait subir à l’image dont je suis parti.

Vendredi 18 mars
Yuri est venu ce soir installer le 3CP sur l’ordinateur de mon bureau. Cela afin de me permettre de travailler les images à ma convenance après chaque journée de tournage. Comme la production ne voulait pas entendre parler d’argent et que Yuri de son côté ne voulait pas céder et faire cette prestation à l’oeil nous avons trouvé cet arrangement qui me convient parfaitement puisque je n’avais vraiment aucune envie d’avoir en plus du vidéo-village une autre installation sur un chariot et quelqu’un passant ses journées devant un écran d’ordinateur. Là au contraire je me retrouve dans la même configuration que pour celle du test du KLMS.
Malheureusement la clef USB censée " ouvrir " le logiciel jusqu’à la fin du tournage ne marche pas. Comme l’écran de mon vieux PowerBook est trop mauvais pour ce genre de travail et que je n’ai pas le câble pour le raccorder à mon " Apple Cinema Display ", Yuri est reparti avec mon gros G4 Desktop afin d’installer et de vérifier le 3CP dessus. L’embêtement c’est que je le récupérerai au mieux mardi c’est-à-dire après déjà trois jours de tournage.
(A suivre)