9 mois ferme
Paru le La Lettre AFC n°235
Il m’a parlé du Grand soir tourné en Canon 5D, souvent à la main. Il n’avait pas encore réalisé de film tourné en numérique et pensait que c’était la solution pour alléger le tournage. Il n’était plus question de tourner en 35 mm. Il voulait clairement s’affranchir d’une technique trop lourde : une caméra légère, facile à placer n’importe où, des techniques d’éclairages simplifiées. Eclairer, par exemple, les intérieurs nuit avec les seules lampes du décor, ou pour les intérieurs jour, ne faire venir la lumière que de l’extérieur. Pas de matériel dans l’aire de jeu des comédiens. Cependant, il cherchait une image singulière, spécifique à ce film, toujours dans ces teintes très chaudes et saturées qu’il affectionne particulièrement.
Pour commencer, nous avons fait des essais comparatifs entre les 5D, 1D, Epic, C300 et Alexa ProRes. A travers ces essais, je voulais faire sentir à Albert la différence fondamentale entre une vraie caméra numérique et un appareil photo. La latitude d’exposition et la taille de l’espace colorimétrique n’ont rien de commun. Les essais ont été très éloquents et notre choix s’est porté sur l’Epic.
Plus compacte que l’Alexa, elle offre surtout la souplesse du raw à l’étalonnage et une plus grande précision dans le rendu des couleurs. C’est chez Technicolor, avec Natacha Louis, que nous avons fait les essais. Elle avait déjà travaillé avec Albert sur l’étalonnage du Vilain. Natacha a compris rapidement l’image qu’il cherchait, c’était précieux.
Nous avons mis en place pour le tournage une gestion particulière des rushes. Le montage se faisait en parallèle et nécessitait des images dès le lendemain. C’est le second assistant, Maxime Beauquesne, qui générait les rushes pour le montage avec le " Rushes Management System " développé par Panavision. Pas de rushes étalonnés donc, mais la possibilité pour moi, en fin de journée, de corriger les métadonnées de certains plans, si nécessaire (température de couleur, teinte, ou sensibilité). Cela a bien fonctionné car nous étions principalement dans des ambiances de lumière " maîtrisées ". Nous avons tourné de mi-octobre à mi-décembre et heureusement très peu de scènes en extérieur jour.
En étalonnant les moniteurs du tournage, du back up, du montage, en utilisant la sortie HD de la caméra via Redcolor3 et Redgamma3, et en générant les rushes par ce même procédé, nous avions pratiquement les mêmes images sur le plateau et au montage.
Albert tenait à tourner dans le vrai Palais de Justice de Paris. C’est un monument et, par endroit, il est très sécurisé. Malgré un accueil vraiment chaleureux, il était impossible d’éclairer par l’extérieur certains décors. La météo nous a sérieusement aidés !
Pour la scène du procès final, nous avons eu le privilège de tourner dans la première Chambre de la Cour d’Appel. Elle avait l’avantage d’être surplombée par une grande mezzanine qui nous a permis d’installer toute la lumière hors champs. Ainsi nous avons pu tourner deux jours de suite en lumière " solaire " constante, sans l’influence de la lumière extérieure.
L’appartement d’Ariane (Sandrine Kiberlain) a été tourné en studio. C’est Pierre Quefféléan, le chef décorateur, qui l’a conçu, très respectueux de mes demandes. Les contraintes connues du tournage m’ont amené à faire fabriquer des plafonds en toile, surmontés d’un groupe de mandarines en douche sur dimmers indépendants. Cette installation m’a permis de contrôler le contraste dans le décor, autant en ambiance jour qu’en ambiance nuit. J’ai respecté au maximum la volonté d’Albert de ne rien installer dans le décor près des comédiens. De nuit, une simple luciole ou une mandarine Chimera avec nid d’abeille. De jour, un Kino. Mais toujours le petit réflecteur tenu à la main pour faire briller les yeux des comédiens…
Le film s’est tourné en hiver alors que l’action se déroule en été. J’ai souvent essayé de suggérer la présence du soleil, un soleil souvent " chaud " et des ombres froides.
Le cadre et le Steadicam ont été tenus par Stéphane Martin, bras droit d’Albert. Le découpage leur appartenait, j’étais à la lumière.
Après le Palais de Justice et le studio, nous avons investi un hôtel particulier –ancien lycée technique désaffecté – qui nous a servi de studio pour une multitude de décors. Cela nous a permis de gagner beaucoup de temps : prélight d’un côté, tournage de l’autre. Et le montage tout proche…
Pour servir la mise en scène singulière d’Albert, le film recèle beaucoup de plans truqués, brillamment exécutés par Mikros image, sous la direction de Cédric Fayolle.
Plusieurs semaines avant l’étalonnage final, nous avons travaillé avec Natacha et Albert pendant quatre jours non consécutifs sur une bande courte de 15 minutes environ ; une sélection des plans représentatifs des ambiances du film. Cela nous a permis de nous entendre, de chercher l’image du film avec le temps nécessaire pour avoir du recul. Albert a justement réorienté nos premières propositions en nous poussant dans des directions plus radicales, plus affirmées. Très contraste, très chaud, le résultat final est l’aboutissement d’allers-retours entre excès et raison. Ces journées de pré-étalonnage en amont ont également permis d’avoir des bases pour certains plans truqués.
Au terme de tout ce travail orchestré par Albert, voici un très beau film : une comédie sur fond de parcours judiciaire abracadabrant, dans l’univers de Dupontel, avec Sandrine et Albert qui interprètent magnifiquement ces deux personnages, auxquels on s’attache progressivement et qui nous offrent des moments d’émotion pure.
ADCB Films : Catherine Bozorgan, Albert Dupontel
Directeur de production : Yvon Crenn
Chef décorateur : Pierre Quefféléan
Équipe
Cadreur : Stéphane Martin1re assistante : Lise Drévillon
Chef électricien : Cafer Ilhan
Chef machiniste : François Comparot
Technique
Matériel électrique : TranspaluxMatériel caméra : Panavision Alga (RED Epic - Arri/Zeiss Master Prime)
Matériel machinerie : Next Shot
Effets spéciaux numérique : Mikros image – Cédric Fayolle
Effets spéciaux mécaniques : Guy Monbillard