A mon ami Elyes Zrelli, 1er assisant réalisateur

par Gilles Porte

par Gilles Porte La Lettre AFC n°172

Certains films sont des tranches de vie… Les miens sont des tranches de cake… (Alfred Hitchcock)

Samedi 15 décembre 2007, " White desert " – Egypte
Je compare souvent notre métier à celui des grands navigateurs. Nous partons quelques jours, quelques semaines, quelques mois, puis nous rentrons au port, jamais tout à fait les mêmes… Parfois, exceptionnellement, comme dans certaines histoires de navigation, quelques-uns ne reviennent pas tout de suite, ou pas du tout, par choix ou tout simplement parce qu’ils s’égarent en route auprès d’une sirène.

Il y a même des retours précipités pour cause de " casse ". Ça peut être un grand mât, une petite poulie, une maladie subtropicale ou encore, une " incompatibilité d’humeur " avec un haut membre de l’équipage… Le principe hiérarchique, sur ce genre de bateau, bien qu’il soit " cinématographique ", reste tout de même très militaire…
Il y a le capitaine, les hauts gradés (dont le directeur de la photographie fait assurément partie), les hommes d’équipage et les moussaillons. Si le capitaine est fou, alors il nous reste plusieurs choix : sauter à l’eau et quitter le navire en essayant d’attraper une bouée au passage ou serrer les fesses en espérant passer au milieu des icebergs… Combien d’histoires avons-nous entendues de " rescapés " pensant être rentrés " sain et sauf " d’un long voyage pour prendre conscience, beaucoup plus tard, qu’au fond d’une soute, un élément essentiel de leur coque était finalement fissuré ?

Cela fait exactement trois mois que je suis en Égypte sur un premier film irakien avec un équipage libanais, tunisien, palestinien, algérien, égyptien et… suisse ! Si j’ai particulièrement insisté pour emmener avec moi un Helvète au milieu des pyramides, c’était certes pour apporter un peu de neutralité au sein d’une embarcation qui allait franchir le Cap Horn et celui de Bonne-Espérance, mais surtout afin de pouvoir compter sur Samy, mon " chef électricien ", avec qui j’ai bien des fois navigué par avis de tempête… Pour n’avoir jamais vraiment été un adepte des anecdotes vécues par les " vieux loups des mers ", je n’en abuserai pas dans cette bouteille jetée dans la Mer Rouge : les faits de navigation ou péripéties de voyages n’appartiennent-ils pas finalement pas qu’à ceux qui les vivent ?
Et s’il arrive, parfois, que certaines de ces anecdotes deviennent des légendes, convenons que c’est tout simplement parce que le voyage (film) qui demeure a été consacré. N’est-ce pas ainsi que les menaces de mort de Werner Herzog, pistolet au poing, sur son acteur principal, Klaus Kinski au cours d’un tournage peu singulier, ont pu passer à la postérité ? L’Aube du monde (c’est le titre du film) n’en est pas encore là et cette " AUBE ", croyez-moi, a bien failli ne jamais voir le jour pour des raisons qu’ils seraient trop longs d’expliquer. Bien qu’ici on me signale, tous les jours que « Allah Akbar », ce ne sera cependant pas un miracle si ces images et ces sons existent mais bien la volonté de quelques-uns de faire avancer un radeau même si bien des vents se sont mis à souffler en sens contraire…

Il est toujours délicat de parier sur ce que sera un film au final, mais je sais que ce qui m’a été donné à filmer était incroyable… Plutôt que de s’extasier sur la composition d’un cadre, l’incidence d’une lumière ou la subtilité d’un contraste, je voudrais par ces mots rendre hommage ici à une profession dont on ne fait à mon sens pas assez écho : le 1er assistant réalisateur ! S’il sera toujours important pour " un directeur de la photographie " de ne pas négliger la texture d’un costume, le maquillage d’un comédien ou la patine d’un mur, je voudrais aussi préciser combien il est primordial de pouvoir compter sur les qualités d’un premier assistant réalisateur…
Réussir à capter des aubes et des crépuscules, en Égypte, était une sorte de pari insensé, tellement la mesure du temps, ici, est toute relative. Pari tenu par Elyes Zrelli, 1er assistant réalisateur, qui mériterait de faire partie de " l’équipe image " tant sa contribution à " mettre en boîte " des lumières à la " magic hour " a été primordiale.

J’ai rencontré des personnes formidables de ce côté–ci de la mer : une famille de machinistes insensée, des pêcheurs magnifiques, des techniciens compétents et tas d’autres visages… Construire une île au milieu d’un lac (au sens propre du terme) relevait d’un autre exploit impossible… Désormais, en plus d’un sphinx, sachez qu’ici, en Égypte, des hommes sont encore suffisamment fous pour bâtir ce que peu d’entre nous oseraient imaginer au sein d’un hexagone.
Que les Hussein, Khaled et autres Tamimi soient ici remerciés car malgré les affres de l’administration égyptienne (matériel de prises de vues retenu 3 semaines en douane, difficultés insensées pour obtenir des autorisations de tournage), malgré une préparation en plein ramadan et autres aléas divers, une équipe entière est tout de même parvenue à faire exister ce qu’Abbas (le réalisateur) avait rêvé…

Avant de terminer cette missive entre deux dunes blanches (je suis en plein cœur du " White desert ", près de la frontière lybienne), je voudrais, puisque j’ai commencé à parler de marins, avoir une pensée pour les proches qui restent à quai alors que d’autres vivent de grandes traversées. Comment ne pas penser à Syrine, ma fille de 5 ans, et à tous les autres, restés au port ?
Trois mois et demi, ce n’est rien dans la vie d’un homme, mais ça correspond tout de même à plus du premier trimestre d’une dernière année de maternelle pour Syrine, née alors que j’étais avec une autre caméra près d’une mer Méditerranée… Syrine, qui a appris à marcher alors que j’essayais de filmer la Mer du Nord… Paraît qu’aujourd’hui elle sait écrire avec les " lettres liées ", qu’elle sait faire du vélo sans roulettes et qu’elle apprend le piano… Peut-être un peu de culpabilité ici de la part d’un père très absent, mais surtout un gros coup de blues juste au milieu d’une journée, cloué au milieu du désert (faute d’autorisation !) et éloigné d’un ami rentré plus tôt que prévu à Tunis…
À très vite sur terre… avec des images et des sons, bien entendu !!!