A propos d’"un mauvais rêve" de Claude Garnier et de l’"effarement" de Bruno Delbonnel, collègues et amis de l’AFC qui décrivent ces états dans la dernière lettre de novembre de notre association

par Pierre-William Glenn

par Pierre-William Glenn La Lettre AFC n°171

Je reste désespérément optimiste quant à l’avenir de l’AFC et ne veux surtout pas apparaître comme un " anti-ambiance " alors que j’essaie au contraire de faire vivre la convivialité par la discussion. Je crois qu’il faut ouvrir le débat sur qui dit quoi, et pourquoi, pour faire progresser l’AFC et la qualité de la vie associative.

Il ne faut pas faire de « mauvais rêve » mais essayer quand même de recouper les faits, qui sont têtus comme dit l’autre, admettre qu’une association dépend souvent de très (trop) peu de bonnes volontés, que l’égoïsme, l’individualisme forcené et revendiqué sont matière courante de notre métier et… ont toujours eu lieu chez nous : il y a toujours eu des membres de l’AFC qui n’ont respecté aucune éthique, qui ont accepté de remplacer un collègue sans le concerter, qui ont accepté des salaires ridicules contre d’autres collègues, voire certains qui ont pris la place en remplaçant 2 postes à la caméra par 1 seul, qui se sont exclus les uns les autres quand ils n’ont pas témoigné les uns contre les autres… Ça n’est pas gai, mais pourtant " elle tourne " cette association… Moins bien que l’ASC de référence où ces dysfonctionnements ne pourraient pas avoir lieu, mais elle tourne assez bien puisque, pour vous rassurer, chère Claude, il n’existe pas, à ma connaissance, de rumeur anti-jeunes. Les jeunes " entrants " sont plus que bienvenus – en témoigne le parrainage actif qui a vu notre nombre et notre qualité continuellement augmenter – et l’idée de mettre en doute leur participation ne me vient pas à l’esprit. Les nouveaux entrants sont effectivement un gage de qualité pour l’avenir, comme doivent l’être les nouvelles technologies, les élèves des écoles de cinéma publiques… etc. etc.

Sauf qu’il ne faut pas dénoncer des rumeurs en les créant et en les propageant. J’ai dit dans un billet d’humeur précédent tout ce que je pensais précisément du danger du volontarisme qui consiste à avoir des idées sur tout et surtout des idées, de laisser l’ensemble des tâches à accomplir à 2 ou 3 personnes, de ne jamais venir aux conseils de l’association (ouverts à tous), de ne jamais écrire dans la Lettre et surtout, en bons assistés, de déléguer à une permanente qui n’en peut mais l’ensemble des activités de l’association. La meilleure preuve est d’actualité ; il y avait 450 personnes à la projection à l’espace Cardin d’Un secret, film de Claude Miller éclairé par Gérard de Battista, dont beaucoup de jeunes directeurs photos, d’étudiants des écoles Louis-Lumière et fémis, et il semble justement que la discussion entre les générations y a été fraternelle. Combien d’entre les invités se sont préoccupés des moyens, de l’organisation, du rangement ?

La réponse est toute simple, mais je vous laisse découvrir qui trouve la date pour pouvoir prêter la salle, qui mobilise et qui demande à ses techniciens d’assurer les projections et de les répéter ? La personne en question doit quand même être un membre de l’AFC, je crois la connaître et je crois qu’elle est très heureuse d’accueillir des " Djeunes ", qui sont fiers d’être là et qui ont envie de s’impliquer et de participer… Le billet de Claude est donc sans objet, il marque une volonté de participation et j’espère seulement ne pas vivre le « cauchemar » d’une association qui n’aurait compris du cinéma que l’idée reçue (et fausse) de faire semblant.

Dans le même ordre d’idées notre estimé collègue Bruno Delbonnel ne fait pas semblant d’aller représenter l’AFC à Camerimage. Nous pouvons être heureux d’avoir un membre prestigieux qui se retrouve sur les chemins défrichés dès le Festival de Chalon, entièrement consacré à la prise de vues de film qui a eu 10 années d’activité et qui a été " copié " en mieux par le festival Camerimage. Où nous avons été présents dès 1996. Il était aussi difficile à cette époque que maintenant d’avoir des représentants de l’AFC volontaires pour rencontrer leurs camarades anglo-saxons.

On pourrait se demander pourquoi il y a une cinquantaine de chef opérateurs anglais invités, avec quels moyens, et pourquoi si peu de Français, mais là n’est pas toute la question. Dans les premières éditions de Camerimage nous avons eu le privilège de rencontrer Sven Nykvist, accompagné comme son ombre par Vittorio Storaro dans un hommage à son œuvre ainsi qu’à une projection du film qu’il a réalisé. Nous discutions de l’exception culturelle avec des responsables américains, dont Adam Holender, directeur photo de Paul Newman, avec les présidents de la BSC et de l’ASC… Donc nous parler de la qualité professionnelle des personnalités invités à Lódz est vraiment inutile ; beaucoup d’entre nous ont travaillé avec le bon Joe Danton, ont connu Mike Seresin quand il venait filmer en France et connaissent l’existence et la qualité des Michael Chapman, Christopher Doyle et autres Vilmos Zsigmond.

Là où le plaidoyer dérape, c’est quand notre collègue nous parle du leurre de jouer dans la cour des producteurs et des acteurs à Cannes. « Comme chacun sait » dit-il. Il n’est pas une des personnes citées ci-dessus qui déclinerait ou qui ont décliné une invitation à Cannes, pensant tous, comme moi que leur présence est essentiellement valorisante pour notre métier. Nous avons vu à Cannes tous les plus grands chefs opérateurs du monde (et les moins grands), tous ravis de pouvoir assister à la projection de leur travail de la manière la plus gratifiante du monde aux côtés des réalisateurs. C’est à Cannes où la notion de couple réalisateur-opérateur a été consacrée par la critique spécialisée, par les journalistes et par le public au fil des années. Au prix d’une belle obstination et d’une présence systématique en ne laissant à personne d’autre le privilège de nous représenter. La meilleure preuve de la vitalité du cinéma français est que la qualité des techniciens français, indissolublement liée à celle de l’auteur -metteur en scène, est que toutes ses idées, ses festivals, ses principes, sont repris et célébrés dans le monde entier. A Lódz en particulier qui rend hommage au « couple » Parker-Seresin cette année…

Cannes est LE symbole du cinéma d’auteur indépendant et parler de ne pas y participer est une très curieuse idée. La reconnaissance artistique de notre collaboration à la mise en scène doit se faire dans un cadre plus large que celui de notre " corporation " et c’est ce que j’ai personnellement vécu depuis 1973, date de ma première présence à Cannes avec La Nuit américaine : les autres films sélectionnés auxquels j’ai eu la chance de participer ont tous été valorisés de leur sélection cannoise et … moi avec. Ne serait-ce que la jubilation de voir son travail projeté sur un écran de 20 mètres de base dans les meilleures conditions d’image et de son du monde. Unanimité là-dessus des Américains, des Anglais, des Allemands, des Chinois, des Russes, des Australiens qui en témoignent volontiers. Il est dommage que seuls quelques Français fassent la fine bouche et crachent dans la soupe, ou fassent semblant, car ça peut donner le genre rebelle et marginal mais… c’est presque une règle générale dans notre cinéma. Les mêmes ne résistent généralement pas à une sélection, aux " honneurs " et aux " paillettes " et ils sont ravis de monter les marches avec leur metteur en scène et les acteurs du film auquel ils ont participé. Encore plus contents quand ils participent à un jury… Comme Clint Eastwood, James Cameron, Francis Ford Coppola, qui ont des notions plus respectueuses du festival de Cannes et qui viennent par exemple féliciter les projectionnistes de la qualité de leur travail. Demandez par exemple à Gerry Fisher, Vittorio Storaro, Jack Cardiff, Tom Stern, Michael Ballhaus, s’ils sont frustrés ou mécontents d’être invités au Festival et s’ils prennent la mixité avec les réalisateurs comme une contrainte ou une punition.

Donc pas trop « d’effarement » d’avoir fait la bonne action de représenter l’AFC à Lódz.

Et merci d’être disponible pour écrire dans la Lettre, même si c’est avec un an de retard sur l’événement.

Car il y a encore beaucoup de travail à faire pour la reconnaissance de notre métier en France. La présence d’un directeur photo au jury de la Caméra d’Or à Cannes n’est acquise que depuis quelques années et elle a été le fruit de longues négociations (toujours effectuées par les mêmes personnes), le rétablissement du prix Vulcain de l’artiste technicien de la CST ne date que de 5 ans. Il avait été supprimé au nom des principes idiots de dissociation de la technique et de la créativité énoncés ci-dessus. Tom Stern, Eric Gautier, Leslie Schatz, Steven Mirrione, Janusz Kaminski en ont été les lauréats successifs et la remise du prix a donné lieu à des rencontres sympathiques et émouvantes, à des projections instructives, en France et en Amérique, à la plus grande satisfaction de tous les participants. Nous essayons de faire remettre le prix 2007 à Kaminski cette année, à Lódz justement, par un élève du département image de La fémis dont le film de fin d’études est sélectionné…

Il vaudrait donc bien mieux essayer de trouver les moyens d’envoyer une délégation de 10-12 directeurs photo français à Lodz en 2008 ou en 2009, de préparer la chose avec les bonnes volontés et les partenaires de l’association. Même si c’est pour tenir compagnie à Pierre Lhomme, grand chef opérateur, qui a eu aussi le mérite d’ouvrir la voie et de représenter très dignement les " cinematographers " français en Pologne depuis longtemps.

Pour terminer, cher Bruno, au vu de la qualité de ton travail et de la personne heureuse que tu m’as semblé être lors de notre séjour commun à l’Aquila en Italie, je suis persuadé que tu peux à la fois te saoûler avec Christopher Doyle, nous raconter des belles histoires sur Seamus Mc Garvey et Guillermo Navarro, et… garder ta carte de l’AFC, où nous espérons te voir plus souvent. Polémiques, billets d’humeurs, pensées solidaires, convivialité, actions communes, fêtes, on peut faire ça aussi ensemble à l’AFC, en buvant un coup, et c’est éminemment souhaitable. Restant persuadé que « l’important, c’est de participer », j’espère que l’arrivée des " jeunes ", dont il faut favoriser l’intégration, signifiera un renouveau d’énergie et de tonicité à une association qui en a besoin.

PS : La lecture du compte-rendu du dernier CA confirme, malheureusement, le diagnostique ci-dessus. A suivre…