A propos de Gordon Willis

Par Darius Khondji, AFC, ASC

par Darius Khondji La Lettre AFC n°243

J’aurais aimé rencontrer Gordon Willis, dont le travail a été une grande influence pour moi et sûrement aussi pour beaucoup de directeurs de la photographie de ma génération et de celle qui m’a précédé. D’une grande modernité et d’une grande rigueur, son travail était très lié à sa lecture du scénario, avec une mise en lumière et un cadre très sobres mais avec une vraie intention stylistique.

Il n’hésitait pas à emmener les images dans un univers où la part de l’ombre était très radicale, il se servait de cette ombre et de la photographie pour donner plus de force aux personnages et à l’histoire.
Le découpage était essentiel pour lui et tenait toute la clef de voute de son travail en lumière et au cadre.
Il utilisait peu les forts contrastes de couleur et ses images étaient souvent dans des tonalités plus froides et désaturées.

J’aime énormément son travail dans All the President’s Men, Klute, The Parallax View et dans Le Parrain II. L’image du Parrain II, celle de Chinatown et aussi celle de MacCabe & Mrs. Miller ont bouleversé, dans les années 1970, la façon dont nous voyions les films d’époque.
Mes souvenirs du Parrain correspondent au moment où j’ai commencé à réaliser ce qu’était l’atmosphère, les couleurs et la photographie dans les films, et elles sont devenues dès lors aussi importantes pour rentrer dans le film que certains de ses personnages principaux.
Certains plans de Klute restent gravés dans ma mémoire comme les plans qui semblent être des points de vue du tueur et qui n’en sont pas toujours forcement, la scène où Jane Fonda part rendre visite au tailleur chinois.
Et dans All the President’s Men, ce plan de grue d’élévation verticale incroyable dans la Library of Congress ou ces plans du Parrain éclairés par cette lumière cryptique de couleur bronze qui ne laissait que peu de détail dans les noirs.

Le travail de Gordon Willis peut tous nous donner à réfléchir comment traiter les scénarios que nous choisissons d’interpréter et aider les metteurs en scène sans étouffer les films par la photographie, mais aussi comment avoir aussi le courage de ne pas se laisser, sous prétexte d’une certaine économie des moyens, aller à la " non lumière " morne, bien pensante mais désespérante qui illustre la plupart du cinéma contemporain.
Dans les années 1970, certains de ces directeurs de la photographie comme Willis, Conrad Hall, Vilmos Zsigmond mais aussi en France, Bruno Nuytten, Pierre Lhomme et Nestor Almendros, ont eu tous un moment la clef de cette adéquation.
Ils sont pour moi des modèles sur cette question principale de notre travail par rapport au contenu du film et à son interprétation poétique.