A propos de "Mads", diffusé sur la plateforme Shudder, un film de David Moreau, photographié par Philip Lozano, AFC

Par Ariane Damain Vergallo

Contre-Champ AFC n°360

Début 2023, le réalisateur David Moreau rencontre le producteur Yohan Baiada qui vient de produire Astérix et Obélix, l’Empire du Milieu, un film au budget colossal qui engrange déjà des millions d’entrées. Il est à la fois amusé et séduit quand David Moreau lui propose de tourner exactement l’inverse ; un film fantastique pas cher tourné en UN SEUL plan de 90 minutes avec des copains très motivés.

Le titre du film est énigmatique : il se nomme Mals, un mot surgi du moyen-âge qui désigne les douleurs de l’enfantement. Aujourd’hui, alors que le film sort sur la plateforme américaine Shudder spécialisée dans les films d’horreur, son titre est désormais Mads dont tout le monde connaît la signification : Fous. Ces deux titres résumant bien l’état d’esprit des participants à ce projet définitivement hors normes.

Yohan Baiada décide donc de le produire et c’est seulement quelques mois plus tard - le 1er août 2023 à 21h10 précisément - que le chef opérateur Philip Lozano, le cœur battant, lance le moteur de la caméra. Quant à David Moreau, le réalisateur, il enchaîne avec le mot-sésame "Action" qui va déclencher durant une heure et demie une quantité d’actions millimétrées menées par une armada des techniciens les plus pointus dans leur domaine sur la place de Paris.

En effet, au cours des semaines qui suivent cette soirée mémorable le projet a pris de l’ampleur jusqu’à devenir un long métrage à peu près normalement financé et produit si ce n’est la durée très courte du projet - 6 jours de répétitions et 4 jours de tournage - qui fait revenir les meilleurs techniciens de leurs vacances, alléchés par ce film hors normes dont ils pressentent déjà qu’il pourrait bien être « le film de leur vie ».

Le chef opérateur Philip Lozano a été choisi par David Moreau pour ses évidentes compétences mais aussi pour une motivation démesurée qui lui a permis d’affirmer : « Je pourrais vraiment ne pas m’en remettre si je ne fais pas ce film ».
Imparable ; il est l’homme de la situation. Outre une préparation sportive de haut niveau car il va porter durant 90 minutes une caméra de 10 kilos Philip Lozano va organiser le film pendant presque deux mois sur trois axes distincts.

Tout d’abord, le réalisateur et son équipe se mettent à la recherchent de communes acceptant un tournage qui nécessite d’avoir des effectifs de gendarmerie pour sécuriser les routes de campagne et les rues des villages où ils tourneront de nuit.
C’est finalement dans les communes de Bruebach, Brunstatt Didenheim et la banlieue de Mulhouse que sera tourné le plan-séquence sur une distance de 10 kilomètres dont près de la moitié sera effectuée à pied par Philip Lozano et son équipe.

Dans ce périmètre devront se trouver deux maisons dont l’une avec une piscine qui va servir de décor à une fête, un café, un appartement en travaux et un champ de maïs.
Des décors qui devront être suffisamment proches les uns des autres afin, d’une part, de ne pas rallonger le trajet et, d’autre part, de permettre aux 12 électriciens et machinistes de préparer chaque décor avant l’arrivée minutée de la caméra et ensuite de se diriger rapidement vers le décor suivant pour l’équiper, le tout étant minutieusement organisé par une équipe d’une vingtaine de régisseurs.


Un des challenges de l’équipe caméra va consister à trouver sur le parcours - dont une partie se trouve en pleine campagne - des fréquences permettant à la fois de communiquer et de faire la mise au point à distance de la caméra.
Inexplicablement, la nuit venue et sur une portion de quelques mètres, durant trois longues secondes, la fréquence est perdue au grand dam du premier assistant caméra, l’émérite Michel Galtier, qui choisit de laisser faire.

Une fois les lieux de tournage trouvés et les équipes constituées, Philip Lozano s’attaque à la faisabilité même du projet. Quelle caméra choisir et pour faire quelle image et surtout comment l’agencer pour la porter pendant une heure et demie ?
Il se rapproche de Samuel Renollet qui dirige le département caméra chez RVZ et qui se pique immédiatement au jeu. Il lui propose une caméra RED Raptor en 8K - qui sera utilisée en 6K pour, plus tard, éventuellement permettre de recadrer l’image.
Ils tournent au format 1,85:1 avec une optique photo Nikon recarrossée - un 35 mm - choisie pour sa légèreté et son côté vintage, l’optique étant asservie à un gyroscope pour assurer la stabilité horizontale.


Philip Lozano décide de tourner avec un diaphragme fixe de T : 2,8 tout au long du plan avec une profondeur de champ constante. Pour cela il met en avant de l’optique un VariND pour éviter de changer le diaphragme car le film commence en fin de journée, entre "chien et loup", et se déroule ensuite entièrement de nuit.
Le VariND absorbant entre 1,5 et 2 diaphragmes la sensibilité de la caméra sera de 5 000 ISO, cette combinaison favorisant une légère dégradation de l’image ainsi qu’une montée de grain qui vont coller parfaitement au projet. La température de couleur de la caméra est de 4 300 K qui va donner à l’image une coloration chaude.

Muni d’une sorte de coussin autour de la taille lui permettant de reposer ses coudes et portant dans le dos les batteries et les systèmes émetteurs Helios longue distance, Philip Lozano teste le dispositif en suivant et en filmant durant 90 minutes ledit Samuel Renollet - qui se laisse faire pour la bonne cause - dans la moindre de ses nombreuses activités quotidiennes.
Et il est à ce point enchanté du résultat qu’il qualifie les équipes de RVZ - avec l’enthousiasme qui le caractérise - de "Red Bull Racing", le nom bien connu d’une équipe championne du monde de formule 1 !


Pour un film de nuit, le premier complice d’un chef opérateur est son chef électro.
Ce sera Victor Abadia qui se lance avec fièvre dans le projet.
D’habitude le travail du "gaffer" se déroule presque essentiellement avant les répétitions et, durant le tournage, il a davantage le rôle d’un observateur attentif prompt à rectifier, pour la prise suivante, les défauts qu’il aurait éventuellement remarqués. Sur Mads ce sera tout l’inverse et il aura l’impression d’être « pendant une heure et demie dans une machine à laver en mode essorage ».

Pour la lumière Philip Lozano va s’appuyer sur l’éclairage public et les sources domestiques et, en extérieur, il place sur une nacelle à 40 mètres de haut, un 12 lampes LEDs équivalent à un 20 kW à 6 000 K pour figurer la lune pour la fête mais aussi lorsque les protagonistes passent à travers un champ de maïs.


Les costumes de soirée ont été choisis pour scintiller, capturer la moindre lumière et ainsi aider Philip Lozano à avoir des points étincelants dans l’image.

Durant le tournage, le chef électricien Victor Abadia est assis dans un van en compagnie du pointeur Michel Galtier, du DIT, de l’ingénieur du son et du perchman.


Il est précédé du petit véhicule électrique - un Twizy – qui ouvre la marche et à l’avant duquel se trouve Philip Lozano.


Un troisième véhicule suit avec un électro muni d’une perche avec une boule lumineuse et, en dernier, un quatrième véhicule où se trouve le réalisateur David Moreau, son assistant et le Qtake.
Une sorte de "caravane du Tour de France" qui va foncer dans la nuit à la poursuite des jeunes héros et héroïnes passablement déjantés du film cherchant à échapper à des créatures effrayantes qui veulent les exterminer, le tout se terminant dans un bain de sang évidemment.


Après quelques journées de répétitions, le mardi 1er août est le premier jour de tournage. Philip Lozano prend soin de filmer le tout avec une caméra GoPro comme témoin irréfutable que le film est bien tourné en un seul plan ; un exploit qui mérite d’être certifié.

Les toutes premières images du film sont celles d’une photo d’une bouche rouge qui hurle. Tandis que la caméra s’éloigne le spectateur semble ainsi invité à monter dans un train fantôme dont, une heure et demie plus tard, il risque de ne pas sortir indemne.


Cette photo est accrochée au mur d’une cave où un dealer propose à son client une substance rose dont la couleur suggère que c’est une drogue inconnue.
Les délires qui vont suivre sont-ils bien réels ou bien sont-ils le produit des hallucinations provoquées par cette drogue ? Au spectateur de trancher au terme d’un voyage haletant d’une heure et demie qui ne lui laissera aucun répit.
Le 1er août 2023, la première prise est interrompue car Philip Lozano s’est appuyé trop fortement contre la banquette arrière de la Mustang coupant ainsi l’alimentation et obligeant l’équipe à protéger les batteries et émetteurs portés dans son dos avant de reprendre le tournage.


Le lendemain la deuxième prise est techniquement bonne mais David Moreau, le réalisateur pense qu’il peut obtenir davantage de ses comédiens.
Le jeudi, la troisième prise est excellente à tous points de vue, malheureusement, à la toute fin du plan, la comédienne a oublié d’arrêter son scooter à la place prévue et est sortie du champ.

Et le vendredi 4 août, c’est la dernière prise et de loin la meilleure. Les acteurs ont été géniaux et la technique parfaite. Quand David Moreau, à 22h40, prononce le fatidique « Coupez », l’enthousiasme est général mais les nerfs lâchent aussi : « Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer ».

L’équipe est épuisée. Durant cinq jours, ils ont à peine dormi car les équipements ne pouvant rester en place d’un jour sur l’autre, les électriciens et les machinistes ont dû remballer chaque soir avant, pour les chefs de poste, de visionner « LE » rushe d’une heure et demie, dormir quelques heures et réinstaller le matériel le lendemain matin.

Philip Lozano et David Moreau
Philip Lozano et David Moreau


Quelques semaines plus tard, lors de l’étalonnage du film, Philip Lozano n’en revient toujours pas. Il a tellement aimé être pris dans ce tourbillon, être lâché dans la nuit et être finalement le chef d’équipe de ce film coup-de-poing si rapidement mené et tourné. « J’ai écouté mon cœur et je l’ai fait. »

Propos recueillis auprès de Philip Lozano, chef opérateur, Michel Galtier, premier assistant caméra, Victor Abadia, chef électricien, et Samuel Renollet, directeur de RVZ, par Ariane Damain Vergallo.

  • Ce film est diffusé depuis le 18 octobre dernier sur la plateforme Shudder, service américain de VOD qui n’est pas disponible en France pour l’instant. Le film devrait cependant être diffusé ou sortir sur les écrans en France à une date indéterminée.