A propos des optiques Leica M 0.8

Avec Guillaume Deffontaines, AFC, directeur de la photo sur "Territoires", de David Oelhoffen

par Ernst Leitz Wetzlar La Lettre AFC n°283

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Territoires est un film de David Oelhoffen tourné en région parisienne en plein cœur de l’hiver, un western urbain "crépusculaire" avec Reda Kateb et Matthias Schoenaerts. Le directeur de la photographie Guillaume Deffontaines, AFC, a beaucoup préparé en amont avec le réalisateur pour rendre le tournage - sept intenses semaines - le plus fluide possible.

Outre l’habituel découpage de toutes les séquences dans chacun des quelques quarante décors, s’est vite posée la question primordiale : Quel matériel de prises de vues pour quelle image ? Guillaume Deffontaines a toujours une envie de Leica qui traîne, aussi, quand il a entendu parler de la sortie prochaine des optiques M 0.8, s’est-il précipité pour les tester.

À l’origine les optiques M 0.8 sont des objectifs grande ouverture de la chaîne photo dont les qualités optiques avaient fait la renommée de Leica dans les années 1950-60. Leica a souhaité adapter ces objectifs pour le cinéma. Le diaphragme a été décliqué, la course de point rendue fluide et chaque optique a été cerclée d’une bague crantée standard de section 0,8 mm (d’où le nom M 0.8 !) permettant les "follow focus" et autres moteurs HF. De plus, le diamètre frontal des optiques a été uniformisé à 80 mm rendant ainsi possible l’utilisation d’un pare-soleil.
Ces objectifs étant en monture M, Arri a modifié le filtre protecteur du capteur et CW Sonderoptic a fabriqué et commercialisé avec les optiques M 0.8 une monture M pour l’Alexa Mini. Le duo Alexa Mini et optiques M 0.8 permet d’arriver à un record mondial de légèreté et d’encombrement pour une caméra cinéma : 26 cm de hauteur sur 28 cm de longueur pour un poids de 6,5 kg !

Guillaume Deffontaines - Photo Ariane Damain Vergallo - Leica M, 50 mm Summicron-C
Guillaume Deffontaines
Photo Ariane Damain Vergallo - Leica M, 50 mm Summicron-C

En effet Territoires est un film entièrement tourné à l’épaule, encore que le terme "épaule" ne soit désormais plus adapté pour cette combinaison unique d’une caméra compacte et d’objectifs légers car Guillaume Deffontaines tourne souvent avec la caméra à bout de bras et dans toutes les positions possibles aimant le côté "sanguin" d’une caméra portée en permanence. Quand le comédien Matthias Schoenaerts se glisse sous une voiture, Guillaume Deffontaines le suit avec la caméra à la main, allongé sur un chariot à roulettes sous la voiture manipulé par la machiniste avec, dans une sacoche portée à la ceinture, la batterie de la caméra, celle des moteurs HF, le swap, bref tout ce qu’on peut déporter pour alléger encore davantage la caméra.

C’est Anna-Katia Vincent, la première assistante caméra de Guillaume Deffontaines, son "bras droit" indispensable, qui s’est occupée de résoudre tous ces problèmes afin de rendre la caméra avec ses optiques M 0.8 encore plus légère et pratique d’utilisation. Comme les objectifs sont petits, la course de point est évidemment très courte rendant le travail de mise au point plus complexe.
Anna-Katia Vincent a fait rajouter un pignon à toutes les optiques afin de démultiplier la course de mise au point et rendre celle-ci plus confortable. Cela a très bien fonctionné sauf pour le 50 mm car la course de mise au point étant correcte à la base, le pignon n’était pas totalement nécessaire rendant même la nouvelle course de mise au point un peu trop longue par rapport aux autres. Un inconvénient qui sera corrigé sur le prochain film.

Le 50 mm Noctilux est le joyau de cette série d’optiques car il ouvre à f : 0,95 déployant à cette ouverture incroyable toutes ses qualités de flou, de brillance et de bokeh, 50 mm qualifié même de « sublime » par le directeur de la photo. Les 21 mm, 24 mm, 28 mm et 35 mm ouvrent à f:1,4 et les 75 mm et 90 mm ouvrent à f:2. On peut noter qu’il existera bientôt une version du 50 mm à f:1,4.
Cependant et sans conteste, l’optique phare du film Territoires est le 28 mm quasi "vissé" en permanence sur la caméra. Une évidence pour ce thriller haletant qui confronte en permanence deux personnages qui occupent à plein l’espace d’une image en CinémaScope.
Avec le 28 mm, il y a une absence de déformation des verticales des grands décors ainsi que celle des visages au premier plan avec de surcroît un agréable "bougé" de la caméra sur de longs plans-séquences.
Comme les optiques M 0.8 sont à la base des optiques photo, elles couvrent le 24x36 mm et donc Guillaume Deffontaines a pu travailler en Scope 2,40 Super 35 "open gate".

Territoires s’est tourné en hiver avec une lumière rare, des ambiances froides qui certes convenaient à merveille à ce film sombre mais pour le directeur de la photo, c’était une gageure de tourner un film qui se passe essentiellement en extérieur à un moment où les jours sont les plus courts de l’année.
Chaque journée de tournage était une course contre la montre qui commençait tôt le matin par le tournage des scènes "entre chien et loup", se poursuivait par le tournage des scènes de jour (1/2h chrono pour déjeuner) et se terminait par les scènes de nuit à partir de 16h-17h et tout cela en une seule journée !

Pour une scène d’une dramaturgie particulière, en troisième semaine, David Oelhoffen a sorti pour la première fois le 75 mm. La distance minimum de mise au point de cette optique est de 2 pieds (60 cm) et cela autorisait une proximité des visages inhabituelle et recherchée. Guillaume Deffontaines a trouvé que le 75 mm était particulier et, en un sens, différent du rendu des autres optiques, avec des "accidents" qui le rendaient intéressant.
Un flare, des brillances qui se répartissaient subtilement, un décadrage avec un placement inaccoutumé du visage et in fine, pour Guillaume Deffontaines, un éblouissement d’image comme cela arrive parfois…

(Rédigé par Ariane Damain Vergallo pour CW Sonderoptic - Leica)