A tout de suite

D’A tout de suite, Benoît Jacquot dit que c’est son meilleur film, même s’il faut se méfier de ce genre d’élan et faire la part de l’attachement pour le dernier né et d’une vraie réflexivité, il n’empêche que le film est à la fois un documentaire sur son actrice et un autoportrait saisissant du cinéaste, tout ça au cœur d’une fiction plutôt haletante tirée d’un récit vécu d’une femme d’aujourd’hui 48 ans, qui en 1974, à 18 ans, s’éprend d’un prince charmant fiché au grand banditisme, Mohamed Badaoui.

L’histoire dure 18 mois.
Quand Benoît Jacquot entend le témoignage d’Elisabeth Fanger à je ne sais quelle émission de télé, il pense tout de suite à Isild Le Besco pour incarner le personnage. Il part une première fois sur les traces des cavaleurs (après un casse qui tourne mal, Badaoui et Bellaïch doivent quitter la France). Paris-Austerlitz, Irun, Madrid, Algesiras, Tanger, Casablanca, Athènes. Il écrit après avoir rencontré Elisabeth Fanger.
Françoise Guglielmi, artisan de la formidable série " Tous les garçons et les filles " avec Arte dont sont issus quelques-uns des plus beaux films des cinéastes en course, Les Roseaux sauvages, Trop de bonheur, US Go Home, Travolta et moi..., met patiemment en place les pièces du puzzle, il lui faudra aussi 18 mois. Badaoui sera incarné par Ouassini Embarek, Bellaïch par Nicolas Duvauchelle, Joëlle par Laurence Cordier, Laurence par Emmanuelle Bercot, casting enthousiasmant pour une caméra dont on ne connaît pas encore la taille.
En septembre 2003, nous partons en repérage avec une caméra Panasonic DVX 100. Le train, le Talgot, le ferry, le Maroc, l’avion, la Grèce, les lieux arrivent à nous sans difficulté, c’est léger, évident. Isild nous a accompagnés, certains plans faits pendant ces repérages seront dans le film, nous n’en savons encore rien. De retour à Paris, il est clair pour nous que ce film doit être une équipée dont la légèreté sera le garant de la justesse. Pourquoi ne pas rester en numérique et pourquoi pas la DVX. J’ai alors une conversation formidable avec Yves Angelo que je ne remercierai jamais assez et qui vient de finir Inguélézi de François Dupeyron, il m’assure qu’un vrai travail de lumière et de matière d’image est à faire avec ce genre d’outil. Benoît de son côté parlait avec Xavier Giannoli qui venait de terminer Les Corps impatients en numérique. Yorick Le Saux et lui avaient choisi une DSR 500. C’est là que l’idée du noir et blanc a surgi, le film se situant dans les années 1970, il permettait une interprétation juste et non maniériste de l’époque, il engageait aussi un rapport au numérique qui ne soit pas paranoïaque quant à la couleur des peaux, à la surexposition , etc. Donc, nous voilà chez moi, une après-midi de début d’été, Isild Le Besco, Benoît Jacquot, la DVX 100 et moi. Elle bouge, elle rit, je la filme devant les volets fermés, elle s’allonge sur le lit dans un rayon de soleil violent... Capture des images sur Beta numérique, étalonnage noir et blanc sur le Pixi (console du Spirit), " shoot " avec l’Arrilaser sur pellicule NB Kodak 5034. Ceux qui étaient chez Eclair le jour de la projection des essais s’en souviennent encore, Didier Dekeyser, Didier Cayla, Philippe Reinaudo. Nous étions à la fois incroyablement contents et surpris et un peu terrifiés parce que, c’était objectivement aussi bien que du Super 16 NB.

Isild Le Besco
Isild Le Besco

Après c’est l’aventure du film, une valise caméra à roulettes, une valise lumière à roulettes, Emile Dubuisson et moi, équipe image totalement autonome. Je me souviens du rendez-vous gare d’Austerlitz pour prendre le train de nuit vers l’Espagne dans lequel nous allions tourner lorsque Michel Vionnet, l’ingénieur du son, et moi avons comparé notre volume de matériel, 2 m3. Donc, équipe technique de cinq personnes qui est passée à sept lorsque nous avons tourné à Paris, où nous laissions Antoine Platteau qui avait travaillé aux costumes et préparait pendant notre cavale les décors parisiens. Si j’insiste autant sur l’équipe réduite et l’extrême précision de nos choix logistique et technique, c’est pour mettre en perspective l’extrême qualité de collaboration que tous les participants de cette aventure ont ressentie ; comme sur Inguélézi, qui était pour moi un film passionnant, A tout de suite est l’expression exacte d’un metteur en scène dans une conjoncture artistique donnée par le scénario ; à l’arrivée, Benoît Jacquot semble reconnaître son geste sans les distorsions que le libéralisme conquérant impose aujourd’hui au cinéma.

Merci à Didier Dekeyser, Didier Cayla, Vincent Lehoux, Gérard Soiran.

Merci à Fabienne Vonnier d’avoir accepté le tirage NB des copies.

Technique

Matériel caméra : Iris Caméra, Panasonic DVX 100 réglée et testée avec Mathieu Straub
Laboratoires : Eclair, étalonnage vidéo NB sur Pixi avec Philippe Boutal, étalonnage chimique, Alain Fontaine