Andrée Davanture, si particulière et libre

AFC newsletter n°246

Pour évoquer le souvenir de la chef monteuse Andrée Davanture récemment disparue, Rodolphe Molla, chef monteur, témoigne.
« Libre, c’est le mot qui définirait le mieux Andrée Davanture. Libre de l’espace, libre de pensée, libre du temps, libre de la vie. Libérer le réalisateur, libérer le film pour inventer, inventer une écriture filmique, en respectant la matière, et surtout les rushes. »

Regarder les rushes, encore et encore, dans la continuité du scénario... Lire le plan, le comprendre, le mémoriser.
Regarder le jeu du comédien, le rythme de la caméra.
Garder la première impression dans un coin de sa tête et ne pas l’oublier, car on y reviendra à un moment ou à un autre.
Découvrir les images, laisser vivre ces images, et le plan, pour laisser le spectateur libre de rêver, de réfléchir, de sentir les images, de ressentir l’émotion.
Libérer l’émotion, pour vivre le présent sans oublier le passé. Ce présent, cet instant, ce moment de partage qu’est un film.
Ne pas avoir de doute le premier jour de montage, ne pas avoir peur de la première coupe même si elle est douloureuse, ne pas avoir de doute sur le raccord toujours bon lors de la première marque (il ne bougeait plus jusqu’à la fin du montage).
Trouver le vrai-faux raccord que tu ne vois pas mais qui te marque.
Ne pas oublier le silence pour le temps, la respiration du comédien pour l’intention qui permet la fluidité des plans.
Libérer le mouvement, le perpétuel mouvement comme " l’image mouvement ", la gestuelle du montage. Mettre le pied dans le pas puis compter le nombre de pieds, pour mesurer la durée du chevauchement du son. Laisser les chutes sur le clou du chutier et mettre un cavalier. Mettre les pieds sur la table, une tasse de thé dans la main, pour se poser, pour rêver.
Parler avec le réalisateur, comprendre l’autre, toujours.
Ce plan a été tourné. Pourquoi ? Et ce cadre ?
Respecter l’auteur d’où qu’il vienne pour voyager avec lui, en Europe, en Afrique, en Asie, en Océanie.
Voyager, prendre le bus pour observer les gens. Prendre la voiture avec le réalisateur pour l’écouter en allant au laboratoire. Prendre l’avion… Prendre le temps. Vivre des mois à l’étranger pour mieux respirer le film, mieux surprendre le spectateur. Partir pour mieux revenir.
Monter une langue, des langues, des dialectes. Une langue c’est une musique, un rythme. Se laisser porter par le jeu, la vibration de la voix : la coupe sera toujours juste.
« Laisse-toi porter, ne sois pas mécanique », voilà ce qu’on entendait dans la salle de montage.

La salle. " Ce qui se passe dans la salle reste dans la salle ". La confiance était là. Confiance envers le réalisateur, envers les assistants, envers la jeunesse. Jamais un mot plus haut que l’autre. Rien n’était grave. Donner confiance en soi, faire confiance à l’autre.
Puis, penser le son en montant l’image, être là au mixage, être là à l’étalonnage, être là à la copie zéro. S’occuper des finitions, faire le lien entre tous les postes, toutes les personnes. Monter ce n’est pas seulement rendre un film à la production.
Enfin, enlever les pieds de la table. Se lever, faire quelques pas en mangeant des amandes, respirer, puis reculer, danser, dans la salle sur le générique de fin.
Transmettre l’essentiel avec le temps, du traditionnel au numérique. Inventer des méthodes pour chaque film, car chacun est différent, chacun est particulier comme toi.
Tu étais si particulière et libre.

Rodo