Art et essai, le malaise parisien

par Nicole Vulser

La Lettre AFC n°164

Le Monde, 13 mars 2007

Les salles d’art et essai ont le blues. A coup de perfusions financières apportées par le CNC (11 millions d’euros au total en 2006) ou les villes, elles gardent, tant bien que mal, la tête hors de l’eau. Si on est passé, en France, de 1 910 salles en 2001 à 2 098 en 2006, durant les derniers mois, le malaise financier s’est aggravé. Surtout à Paris.

Ainsi, fortement déficitaire, le Grand Pavois, installé depuis une trentaine d’années dans le 15e arrondissement, risque de mettre la clé sous la porte. Le gérant de la salle en redressement judiciaire depuis la fin novembre 2006. Six offres ont été remises fin février à l’administratrice judiciaire. Le choix du repreneur est prévu avant le 23 mai.
Autre symptôme, un mandat de vente est en cours pour la cession d’une salle du Quartier latin, l’Accatone. Propriété de l’ARP, le Cinéma des cinéastes, dans le 17e arrondissement, confronté à de graves difficultés financières, devrait s’en sortir d’ici trois ans, en louant une partie des bâtiments, en réorganisant l’équipe et en externalisant la programmation.

La complainte de ces exploitants parisiens est liée à la baisse de la fréquentation : en 2005, les 39 établissements de la capitale ont réalisé 4 millions d’entrées (soit 15 % de la fréquentation parisienne), en régression de 8,5 %. La désaffection du public vient notamment de l’évolution considérable de la cinéphilie. L’accès aux films de patrimoine passe désormais par les DVD et les chaînes thématiques de cinéma et non plus systématiquement par une petite salle de quartier.
La concurrence avec les circuits est également plus frontale : les distributeurs de films réputés difficiles savent qu’un film d’auteur comptera beaucoup plus d’entrées s’il est programmé en version originale à l’UGC-Ciné Cité des Halles ou au MK2 Bibliothèque que s’il est à l’affiche dans des petites salles. Au point que, dans le métier, le jargon a même créé cette étonnante appellation de " film d’auteur à forte capacité commerciale ". Ces films, les indépendants ont de plus en plus de mal à les obtenir ; ils sont programmés à quelques rues, dans un grand circuit. Aussi, sur cette question, le médiateur du cinéma a enregistré un quasi-doublement des demandes de médiation sur Paris en 2006.

L’équation parisienne de l’art et essai se corse encore par l’augmentation très forte des loyers. Les exploitants sont rarement propriétaires de leurs murs. MK2 est le seul indépendant à avoir acquis une taille qui lui permette de rivaliser avec les grands circuits sur Paris. Mais son PDG, Marin Karmitz, est en conflit avec Pathé à propos des salles Beaugrenelle dans le 15e arrondissement (voir l’article du Monde ci-dessous).
Pour répondre au malaise, Régine Hatchondo, déléguée de la Mission cinéma de la Ville de Paris, a fortement augmenté les aides de fonctionnement (de 210 000 euros en 2002 à 900 000 en 2006).
Pour Michel Humbert, président du syndicat des salles d’art et essai, les difficultés viennent des cartes illimitées qui ont abouti à un emballement du marché : les distributeurs mettent leurs films dans les cinémas qui acceptent ces cartes. Les cinéphiles les ont adoptées.
(Nicole Vulser, Le Monde, 13 mars 2007)