L’éditorial de la Lettre de mars 2015

Autour de la table

Par Matthieu Poirot-Delpech, coprésident de l’AFC
Le mardi 24 février 2015, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté d’extension de la convention collective de la production cinématographique. Donner un cadre légal aux professions du cinéma serait néfaste à sa diversité selon certains. Nous pensons évidemment qu’aucun film ne mérite d’être abandonné au bord de la route. Les mécanismes qui permettront d’y parvenir ne doivent cependant pas se retourner contre ceux qui fabriquent ces films, y compris – et surtout – dans un contexte économique particulièrement difficile.

Le cinéma français a pourtant de la chance ! Les mécanismes contraignants de "l’exception française" (décret Tasca de 1990) obligent les diffuseurs à "produire français" (9 % du chiffre d’affaire pour Canal+, 3,2 % pour les autres chaînes), et à "diffuser français" (40 % d’œuvres d’expression originale française). Il va sans dire que sans ces obligations, ni les programmes des salles de cinéma ni ceux des chaînes de télévision ne ressembleraient à ceux que nous connaissons aujourd’hui.

La vie d’un film dépend de la volonté des chaînes de participer au projet. La décision se prend au cours d’un "tour de table". Mais la table est petite – les convives qui l’occupent tiendraient facilement dans une cabine d’ascenseur – et en plus l’appétit n’est plus au rendez-vous. La participation dépasse rarement les "3,2 %" qui ont été imposés.

La France produit cependant, bon an mal an, plus de 200 films de long métrage (hors coproductions à majorité étrangère). C’est deux fois plus qu’en 1990, date de l’entrée en vigueur du décret Tasca. C’est aussi beaucoup trop pour satisfaire tout le monde, seuls 140 (chiffres 2013) de ces films trouvent donc un financement auprès des chaînes de télévision. Les autres, ces films "non désirés", "mal aimés", se feront malgré tout, mais dans des conditions précaires.

Ces films sont-ils des "films d’auteurs", qui est une notion très subjective souvent reprise par les médias ? Ce sont en tous les cas les projets qui par leur audace ou par leur manque d’attractivité n’ont pas réussi à séduire les chaînes car ils ne répondent pas à l’idée que celles-ci se font des désirs supposés de leur public.

Paradoxalement donc, les mécanismes de "l’exception culturelle" favorisent donc plutôt le cinéma "populaire" que les films "difficiles", "audacieux" et "fragiles". Ces mécanismes doivent-ils donc être réajustés afin de permettre de mieux soutenir un cinéma exigeant qui permet à notre production nationale de rayonner à travers le monde ?