Camerimage 2014 vu par...

Entretien avec Thomas Hardmeier, AFC

par Thomas Hardmeier La Lettre AFC n°248

Thomas Hardmeier, AFC, a bien commencé l’année 2014 avec l’obtention du César de la meilleure photo pour L’Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet. Depuis, sont sortis sur les écrans Yves St Laurent, de Jalil Lespert, De guerre lasse, d’Olivier Panchot, et La Prochaine fois je viserai le cœur, de Cédric Anger (actuellement en salles). Un des rares opérateurs francophone invité à Camerimage (il était membre du jury de la compétition des premiers films), il en revient également auréolé d’un nouveau prix pour le film de Jean-Pierre Jeunet (meilleur long métrage en prise de vues relief). Retour sur une semaine à Bydgoszcz en sa compagnie... (FR)

C’est votre première fois à Camerimage..., quelles sont vos impressions ?
Thomas Hardmeier : Tout d’abord, il y a la lumière de Bydgoszcz... C’est un ciel couvert permanent, très cotonneux. On arrive le samedi, on repart huit jours plus tard, et c’est exactement toujours la même ambiance. Je trouve ça très agréable, reposant d’une certaine manière !
Sur le festival en lui-même, l’ambiance très décontractée. Ça fait un peu comme des vacances, on peut rencontrer plein de gens du métier, des étudiants, des fournisseurs..., en ayant le temps qu’on n’a jamais quand on est à Paris et qu’on travaille, ou même quand on fait des salons qui ne durent qu’un ou deux jours.

Vous avez fait parti du jury du meilleur premier film. Parlez-nous du palmarès.

TH : A l’issue des discussions, il y avait vraiment trois films qui se démarquaient. Theeb, de Naji Abu Nowar, a été récompensé car c’est un film où l’on ne sait vraiment pas où va nous mener le réalisateur, au contraire de pas mal de films qui donnaient beaucoup trop de clés dès le départ.
Une histoire sans chichi de mise en scène, sans ralenti... Le désert qui sert de décor forme quelque chose de très épuré à l’écran... Et puis surtout, il y a un duo de comédiens formidables, dont l’interprétation ne tombe jamais dans le pathos.

Et les deux autres films ?

TH : Whiplash, de Damien Chazelle, qui est un réalisateur ultra prometteur. Tellement bien écrit et réalisé qu’il en devient presque un peu " surfait " peut-être... Et il a obtenu tellement de prix dans les festivals qu’une distinction de plus n’aurait pas changé grand-chose.
Le troisième film était Hardkor Disko, de Krzystof Skonieczny, un super film polonais assez violent, qui a pâti de son coté un peu trop à la mode à l’image et dans ses effets d’étalonnage. J’ai l’impression, en tout cas, qu’en tant que jury composé principalement par des chefs opérateurs, on est moins impressionné par ce genre de trucs.
Du coup, on regarde plus l’histoire. Les effets tape-à-l’œil ou les réalisations un peu trop exubérantes nous ont fait préférer la simplicité d’une histoire bien racontée, et bien interprétée avant tout. Ah oui ! Il y a aussi le film qui a je crois remporté tous les suffrages à l’image parmi nous : Violet, de Bas Devos (Pays-Bas). Photographié par le Belge Nicolas Karakatsanis (Bullhead, The Drop...), le film a manqué néanmoins un peu plus de matière et de clarté dans le script pour qu’il emporte le prix (discernant la mise en scène).
Enfin, dans la compétition principale (dont le jury était présidé par Roland Joffé), j’ai adoré Birdman, d’Alexandro Inarritu. Un film innovant, très osé, avec une liberté incroyable dans la mise en scène et dans le jeu des comédiens.

Vous présentiez aussi en compétition le dernier film de Jean-Pierre Jeunet ( T.S. Spivet) qui a d’ailleurs remporté le prix. Quel est votre sentiment sur le futur du cinéma en relief ?

TH : Je pense que les studios vont continuer à faire du relief en tournage, et surtout en postproduction parce que ça rapporte encore pas mal d’argent... Néanmoins, des projets qui sont vraiment initiés par des réalisateurs comme Jean-Pierre Jeunet ou Alfonso Cuaron, qui souhaitent relever des défis et travailler le relief dès le départ, ça ne court pas les rues ! C’est cette vraie discipline, une vraie approche artistique par rapport à la technique, c’est à mon sens la seule manière d’intéresser vraiment le public au relief, sans quoi les spectateurs finiront par passer leur chemin, vu le surcoût en salle.

Votre actualité en tant que chef opérateur ?

TH : Le film de Cédric Anger est dans les salles depuis deux semaines, et cumule près de 300 000 entrées. C’est plutôt un succès, vu le côté assez sombre et déprimant de l’histoire ! En tout cas, le film intrigue, Guillaume Canet est vachement bien à l’écran, et pour un petit film tourné sur 36 jours, je trouve que le résultat est vraiment à la hauteur.
Autrement, le sixième film de Richard Berry va bientôt sortir (en avril). C’est radicalement différent, une comédie populaire avec Thierry Lhermitte et Daniel Auteuil. C’est tiré d’une pièce de théâtre à succès interprétée par les mêmes comédiens il y a un an. Tournage en studio, à deux caméras, dans un décor d’appartement, beaucoup de dialogue...

Le César de la meilleure photographie vous a rapporté beaucoup de propositions ?

TH : Oui, pas mal ! Le critère principal, c’est le scénario, ensuite le casting. Certes c’est un choix subjectif à chaque fois, disons que je recherche quelque chose qui me stimule, et que je n’ai peut-être pas fait avant... Pour le moment, le prochain film devrait être celui d’Yvan Attal, si le financement se conclut pour 2015...

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)