Camerimage, un festival riche en rencontres et découvertes

Une contribution de Pauline Doméjean, étudiante à La Fémis

Dans le cadre de la présence à Camerimage d’étudiants de l’ENS Louis-Lumière et de La Fémis, l’AFC leur a proposé de contribuer d’une manière ou d’une autre aux articles publiés sur le site et relayés par les infolettres. Pauline Doméjean, de La Fémis, évoque "en détail" dans ces lignes le travail de jeunes cheffes opératrices et celui d’opérateurs confirmés, en revenant parfois plus précisément sur les aspects techniques.

Tout d’abord je tiens à remercier chaleureusement Angénieux, donc Jean-Yves Le Poulain, et tous les autres partenaires de La Fémis grâce à qui nous avons pu être présents au festival Camerimage dans de si bonnes conditions. C’était pour moi la première fois dans ce festival et pas la dernière. Ce fut riche en rencontres, sur les stands de matériel, pendant les séminaires, pendant les soirées, entre les projections ; et en découvertes de films, de chefs opérateurs, d’équipements. Ce qui m’a beaucoup plu a été la diversité des films et des personnes présentes.

J’ai trouvé très intéressant de pouvoir à la fois rencontrer des directeurs et directrices de la photographie débutants, qui venaient parfois avec leur premier long métrage, et de grands chefs opérateurs à la longue filmographie. Entendre de jeunes chefs opérateurs nous parler de leur travail sur des films à petit budget, avec des moyens techniques et humains à peu près à notre échelle, du matériel technique qui nous parle, qu’on utilise aujourd’hui et qui nous est accessible fut très instructif.
Par exemple la cheffe opératrice Kseniya Sereda du film Beanpole (Une grande fille), deuxième film de Kantemir Balagov, avec le magnifique Tesnota, une vie à l’étroit, nous explique en détail la préparation du film, les moyens de tournage et sa relation avec le réalisateur. J’ai trouvé très intéressante sa réflexion sur les couleurs, il leur fallait trouver une couleur par personnages, deux couleurs qui puissent à la fois se connecter tout en créant une tension, les deux couleurs choisies ont été le vert et le orange.
Ils ont fait un pré-tournage de tout le film durant trois semaines avec les comédiennes, ce qu’il leur a permis de préparer en détail les décors, les costumes et la lumière, mais également de créer une sorte de relation spéciale, de connexion entre elles, les comédiennes, et le réalisateur. Le film a été tourné en Arri Alexa Mini avec des Cooke S4, qu’elle explique avoir choisies pour la transition douce entre les parties nettes et les parties floues de l’image, et était équipée de l’épaulière de l’Arriflex.
Ils n’ont eu que 46 jours de tournage pour un scénario qui faisait à la base 2h48min. Elle nous expliquait que pour les parties tournées à l’hôpital, un des décors principaux du film, ils n’avaient que 5 heures de jour, elle a donc installé un Fresnel 12 kW sur une nacelle à l’extérieur pour éclairer à travers les grandes baies vitrées, et venait rééclairer un peu l’intérieur avec des Kino Flo et des Dedolight. Elle nous a aussi parlé de son petit "tips" de lumière qu’elle a utilisé dans la quasi totalité des plans : un petit Lite Panel placé très proche de la caméra pour éclairer les visages.

J’ai eu la chance de pouvoir assister à l’entretient filmé par Arri de la directrice de la photo Katelin Arizmendi qui venait présenter le film Swallow, de Carlo Mirabella-Davis, un film franco-américain qui suit le parcours d’une femme au foyer qui tombe enceinte et commence à développer une étrange fascination dans le fait d’avaler des objets dangereux pour sa santé. En plus de l’entretien d’Arri j’ai pu l’écouter répondre aux questions, réactions suite à la projection. Le film a été tourné en Amira avec des Master Primes Arri. Le choix de cette caméra était à la fois dû au petit budget du film, 1 million, pour un long métrage très ambitieux esthétiquement, mais également pour son ergonomie. Elle nous explique qu’elle pensait utiliser des optiques "vintage" pour les gros plans sur les objets, afin d’y ajouter un aspect un peu plus doux, mais après essais elle a décidé de garder les Master Primes car ces gros plans avaient besoin d’être très piqués.
Elle aussi n’avait pas beaucoup de matériel technique à disposition et a essayé le plus possible de travailler avec la lumière du jour, de plus ils n’ont eu que 20 jours de tournage, ainsi il a fallu rester très flexible quant à l’organisation du tournage afin de pouvoir s’adapter aux conditions lumineuses qui se présentaient. Il était très intéressant pour moi d’entendre ces deux jeunes cheffes opératrices parler des solutions trouvées face à un budget réduit et à peu de jours de tournage, la flexibilité et la préparation étaient au centre de leur travail.

Et face à ces rencontres, j’ai eu la chance d’assister à une discussion entre Ed Lachman et Richard Rutkowski, ce dernier expliquant avoir énormément appris d’Ed Lachman, et une des premières choses était la capacité à déléguer le travail. Il nous parle de son goût pour les focales courtes car il aime la profondeur de champ, pour éclairer il regarde à l’œil nu et remarque ce sur quoi son regard accroche, si le plan ne fait pas ressortir ce détail alors il décide de venir le mettre en évidence. Ed Lachman nous parle de son expérience sur Carol, de l’utilisation du Super 16 pour ce film, afin de coller à l’époque du film, et de son utilisation d’optiques 35 mm, afin de ne garder que le centre de l’optique, donc la partie la plus performante.

Arrive un débat sur la résolution, lancé par le chef opérateur Marko Massinger, représentant de Fujifilm-Fujinon. D’un côté Ed explique son choix de tourner en pellicule, de l’autre Marko prône la haute résolution afin d’être plus précis à l’enregistrement, même si le film se retrouve projeté en 2K, et Richard quant à lui nous parle des conditions de production actuelles, notamment de séries, qui ne permettent pas de tourner à plus de résolution que le 2K. C’était très intéressant de voir se confronter ces trois points de vue en fonction de leur goût, certes, mais également au regard de quel genre de production ils faisaient face et ce que ça pouvait engendrer sur leur façon de travailler et d’appréhender l’équipement.
Cette discussion nous a menés à parler de workflow et a fait écho avec des questions d’étalonnage qui ont été discutées lors d’un séminaire et mis en pratique par Julien Poupard pour le film Les Misérables. Il nous explique ne pas avoir utilisé de LUT au tournage car la multitude de décors et conditions lumineuses différentes ne permettait pas de créer une bonne LUT pour chaque plan.
Il nous dit avoir pré-étalonné les rushes au fur et à mesure du tournage afin d’avoir une image convenable pour le montage. Il s’avère que nombreux chefs opérateurs arrivent à la conclusion que c’est une étape primordiale qui permet de gagner du temps à l’étalonnage final et qui empêche de s’habituer à des images qui ne sont pas cohérentes avec l’esthétique voulue par le chef opérateur.

Pour terminer je voudrais dire un petit mot sur les essais comparatifs d’optiques à l’aveugle organisés par l’AFC, le "blind test". Très instructif à mon goût et assez ludique. Le fait de pouvoir revoir plusieurs fois les mêmes optiques permet de ne pas s’habituer à l’optique précédente, et dans la comparaison de ne pas voir la même chose à chaque fois. J’ai ainsi découvert des otiques vers lesquelles je ne serais pas forcément allée.

En vignette de cet article, une image de Swallow, photographié par Katelin Arizmendi.