Le directeur de la photographie Christophe Beaucarne, AFC, SBC, parle de son travail sur "Mal de pierres", de Nicole Garcia

par Christophe Beaucarne

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C’est en adaptant le roman éponyme de l’Italienne Milena Agus Mal de pierres que Nicole Garcia réalise son dernier long métrage. Alors qu’elle est une habituée de la Croisette avec 15 août, L’Adversaire et Selon Charlie, Mal de pierres concourt pour la Palme d’or de ce 69e Festival. Nicole Garcia a fait appel à Christophe Beaucarne, AFC, SBC, fidèle collaborateur de Jaco Van Doermel, Mathieu Amalric ou encore Anne Fontaine, pour la mise en image de son huitième long métrage. (BB)

Alors que Gabrielle se retrouve mariée à José qu’elle dit ne pas aimer, elle rencontre André Sauvage lors d’une cure thermale où elle part soigner son mal de pierres. Il semble répondre à son désir et l’urgence d’aimer va naître en elle. Ils fuiront ensemble, elle se le jure, cette fois on ne lui prendra pas ce qu’elle nomme "la chose principale". Gabrielle veut aller au bout de son rêve.
Avec Marion Cotillard, Louis Garrel, Javie Cámara, Alex Brendemühl, Brigitte Roüan

L’évolution de l’image entre deux dates
Christophe Beaucarne : L’histoire se déroule entre 1950 et 1967, dans des décors très différents. Le challenge, en ce qui concerne l’image, était donc très intéressant. Je ne voulais pas faire un film d’époque désaturé. A La Ciotat, même si Gabrielle est triste car elle vient de se marier, c’est un peu plus coloré que le début du film. En Suisse, il y a moins de hautes lumières et plus de couleur. A partir des années 1960, les tonalités sont plus fortes. On avance en couleur en même temps que le film. Et lorsqu’elle découvre l’amour, c’est plus chaud que le reste du film.

Un parti pris dès le début du film
Nicole Garcia ne voulait pas d’une image esthétisante. Pour le début du film, qui se passe en Provence, avec une famille de propriétaires terriens qui cultivent de la lavande, elle ne voulait pas d’une lumière trop "Lou cigalou la conta". (Rires) Alors, j’ai privilégié des bleus assez forts, un soleil froid, une lumière plutôt blanche. Pour les intérieurs, j’ai accentué l’ambiance du sud où l’on sent la lumière extérieure écrasante et la pénombre des volets fermés. C’est cette première partie qui est la moins forte en couleur.

Marion Cotillard dans un champ de lavande - Photogramme
Marion Cotillard dans un champ de lavande
Photogramme

Douce et contrastée, nous parlons de lumière évidemment !
Voilà la lumière que j’aime faire ! Pour cela, j’utilise très souvent la lumière naturelle, par exemple la réflexion du ciel sur du blanc. En Suisse, j’ai fait recouvrir la colline de draps gris. D’une part parce que l’herbe renvoyait trop de vert, et d’autre part pour réfléchir la lumière. J’ai fait faire des grands cadres en drap, pas du tulle, du drap, du vrai drap épais. Avec n’importe quelle source renvoyée sur ce drap, la lumière est très douce. Ça absorbe beaucoup mais c’est très beau.
Pour les intérieurs, des sources placées à l’extérieur rentrent par les fenêtres. J’utilise encore ces draps blancs pour renvoyer la lumière. C’est le seul moyen pour que ce soit naturel. En numérique, dès qu’on éclaire directement, la source se sent très vite, je déteste ça !

Une scène de banquet, en lumière naturelle
Nous avons tourné la séquence du banquet sur deux soirs, tout en lumière naturelle. Il y a une progression du jour à la nuit sur quatre moments, la préparation de jour, le coucher de soleil, le moment où les lumières s’allument, puis la nuit.

Un exemple d’étalonnage… et un "truc"
Dans un même plan, nous passons de 1955 à 1967. Gabrielle joue du piano, de dos, face à un mur. Dans un panoramique à 360°, on revient dans l’axe de ce mur et là on est en 1967, ce n’est plus elle qui est au piano mais son fils qui a grandi. Dans le panoramique, elle est assise sur le canapé et elle l’écoute. Je ne dévoilerai pas le "truc" de mise en scène… (Rires) A l’étalonnage, j’ai agi sur la couleur du mur pour que le vert soit plus bleu et désaturé – années 1950 ; lorsque la caméra revient dans cet axe, le mur est beaucoup plus vert, plus franc – années 1960.

Un deuxième exemple d’étalonnage et un autre "truc"
Pour tous les plans tournés à La Seyne-sur-Mer, le sable est désaturé, à l’inverse, le rouge et le bleu sont saturés. Un peu comme les photos anciennes où seules les couleurs fortes apparaissaient. J’avais trouvé avec un DIT, en Allemagne, une LUT qui permet de contraster l’image et de faire ressortir certaines couleurs. Je l’ai utilisée pour Mal de pierres en la modifiant un peu. Dans chaque plan, il y a toujours des couleurs qui ressortent.

De l’anamorphique et du sphérique au tournage
Certaines scènes sont tournées en sphérique avec une série Zeiss GO. Par exemple, le 25 mm était parfait pour les plans dans la voiture que je ne pouvais pas faire en Scope ou quand j’avais besoin d’un plan très large. On sent dans la voiture une texture un peu différente, un flou différent, une perspective pas tout à fait identique, par exemple la main qui tient le volant en arrière-plan est petite… Mais il n’y a que moi qui vois ça (rires). Enfin, je crois que ça raccorde très bien.… Et en 6K "wide screen", c’est très beau !

Tourner sur une planche à voile…
C’est possible, en Scope, pour avancer sur une rivière, avec le Stab One. C’est vraiment efficace et je l’ai utilisé aussi en voiture ou sur un chariot.

Encore une histoire de drap blanc, et une dernière confidence
J’utilise un morceau de drap blanc, pour faire un contre-jour sur un comédien, qui fonctionne dans ses déplacements…
Je travaille avec des Source Four, une sorte de poursuite HMI ou tungstène, je mets un bout de drap sur le mur, et j’envoie la Source Four sur le drap. Ça évite d’accrocher un projecteur, c’est plus rapide, et en tournant la tige du pied de ce projecteur, on suit le comédien dans son déplacement.

Du désir à la réalité…
Nicole Garcia et moi avons essayé de faire un film romanesque et psychologique à la fois. Son film de référence était La Fièvre dans le sang, d’Elia Kazan. Avant le tournage, elle me parlait beaucoup de son envie de juxtaposer les grands espaces extérieurs à de petits espaces confinés et sombres à l’intérieur. J’ai essayé de soutenir le plus possible ce désir à travers l’image.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)