"Cinéma et spectacle vivant : du rêve à l’emploi"
Par Marc DanielSi le poids économique de la culture a pu être sous-évalué par le passé, ce n’est plus le cas. Les activités du secteur culturel, de l’édition aux jeux vidéo en passant par les arts plastiques, sont désormais reconnues pour leur contribution au produit intérieur brut (PIB). Et parmi elles, les industries du cinéma et du spectacle vivant « constituent des secteurs économiques en tant que tels, générateurs de revenus et d’emplois », assure Françoise Benhamou, économiste spécialiste de la culture.
Il existe donc un besoin de formation. Dans tous les domaines de la culture, les cursus spécialisés se multiplient, poussés par l’essor du numérique, mais aussi par la demande croissante des étudiants, que ces métiers font rêver. A titre d’exemple, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep) a recensé pas moins de 82 cursus d’études cinématographiques dans 23 universités.
« Un véritable secteur économique »
Car avec plus de 200 millions d’entrées chaque année, le cinéma français est « le premier marché en Europe, et la France le troisième producteur mondial de films », explique Benoît Danard, directeur des études, des statistiques et de la prospective du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Si le secteur représente 0,3 % du PIB, selon une étude du CNC publiée en octobre, son impact économique global est nettement plus large.
Au-delà des seules recettes de films (1,4 milliard d’euros en 2012), le secteur dégage un chiffre d’affaires de 4,38 milliards d’euros et génère 105 890 emplois, d’après le premier Panorama des industries culturelles et créatives, publié début novembre à l’initiative des professionnels du secteur, regroupés dans le collectif France créative. Et l’on pourrait y ajouter la télévision, secteur jumeau du cinéma, qui représente 14,92 milliards de chiffre d’affaires et 176 467 emplois.
« Ce panorama nous sert à prouver que la culture est un véritable secteur économique, qui se développe et ne se contente pas de coûter », explique Jacques Peskine, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac). De fait, en calculant le chiffre d’affaires du secteur, l’étude permet également de mesurer les effets indirects et induits de l’industrie du cinéma. Car un film, ce sont aussi des locations de véhicules, le recours à des entreprises de sécurité, des cabinets comptables ou encore des dépenses de restauration et d’hôtellerie.
« La montée en puissance de l’économie festivalière »
Le spectacle vivant génère, lui, un chiffre d’affaires de 8,38 milliards d’euros et représente 267 713 emplois, selon France créative. Le théâtre, la danse, les concerts de musique live, ou les arts du cirque et de la rue n’ont rien d’une industrie, « mais ils génèrent d’importantes externalités », explique Martial Poirson, professeur à l’université Stendhal-Grenoble-III et spécialiste de l’économie de la culture.
« C’est particulièrement évident avec la montée en puissance de l’économie festivalière », ajoute Isabelle Barbéris, maître de conférences en arts du spectacle à Paris-VII et coauteur avec Martial Poirson, en 2013, de L’Economie du spectacle vivant (" Que sais-je ", PUF, 128 p., 9 euros).
Avec plus de 2 000 festivals organisés chaque année en France, le secteur est un véritable atout pour le tourisme culturel, du Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières (Ardennes) au célèbre Festival de théâtre d’Avignon, qui rapporte 23 millions d’euros de recettes aux communes environnantes, selon le Panorama des industries culturelles. « Un festival permet également d’entretenir l’activité économique d’une région », ajoute M. Poirson.
Un « avantage comparatif »
La culture participe aussi de l’attractivité d’un territoire. « Un opéra, c’est déficitaire. Mais une grande ville doit en avoir un, pour le tourisme, mais aussi pour avoir une offre culturelle susceptible d’attirer les cadres supérieurs et des sièges d’entreprise », pointe Mme Benhamou. Signe des temps, le ministère de la culture présente désormais le cinéma et le spectacle vivant comme des moteurs de croissance. « La culture doit être aussi un puissant facteur de réussite économique », écrit Aurélie Filippetti en introduction du Panorama des industries culturelles.
« Il y a un véritable basculement dans la rhétorique employée et un changement d’orientation dans les politiques culturelles. La culture est désormais présentée comme un produit " made in France " à forte valeur ajoutée, un enjeu stratégique dans le cadre industriel et commercial international et un levier de croissance en temps de crise », analyse M. Poirson, qui y voit un symptôme inquiétant d’instrumentalisation de la culture et des arts.
Si, historiquement, la culture française est un « avantage comparatif » de la France, l’enjeu est désormais clairement de le monétiser. C’est particulièrement visible dans le cinéma. « Le marché est arrivé à un seuil en France depuis trois ou quatre ans, mais il y a une progression à l’international », explique M. Danard, du CNC. En 2012, les recettes d’exportation des films français ont atteint 211,3 millions d’euros, en forte hausse, grâce aux succès de Taken 2, Intouchables et The Artist, qui concentrent à eux seuls 62,6 % des entrées de films français à l’étranger, indique Unifrance, chargé de la promotion du cinéma français dans le monde.
Si le cinéma s’exporte, le secteur cherche aussi à attirer des grosses productions et à éviter la délocalisation de tournages, alors que des pays comme la Belgique ou le Canada mènent des politiques agressives pour capter cette manne. A cet effet, le plafond du crédit d’impôt international, destiné à favoriser la production de films étrangers en France, vient ainsi d’être relevé de 10 à 20 millions d’euros par les parlementaires.
(Marc Daniel, Le Monde, jeudi 5 décembre 2013)