Cinéma et télévision, le désamour

par Nicole Vulser

AFC newsletter n°162

Ce désamour vient-il simplement du fait que le film n’est plus un produit rare ? Multiplication des chaînes spécialisées dans le cinéma, DVD, nombre croissant de films piratés sur Internet contribuent à faire du cinéma un programme comme un autre.
Pour Jean-François Lepetit, président de la Chambre syndicale des producteurs de films, « à l’exception de Canal+, les autres télévisions hertziennes ne considèrent pas le cinéma comme une des composantes majeures de leur identité ».

Une récente étude de l’Observatoire de la diffusion montre que, entre 1998 et 2005, l’offre de films sur les chaînes en clair a baissé de 11 %, en passant de 839 à 758.
« La disparition progressive des cases réservées au cinéma sur les chaînes en clair », observe Fabienne Vonier, présidente de la société de distribution Pyramide, « la diffusion des films face à des programmes qui les condamnent d’avance - comme des matches de football - et la concentration de la diffusion des films la nuit explique les stagnations d’audience que connaît le cinéma à la télévision. »

Se faisant l’avocat du diable, Michel Gomez, délégué général de l’ARP, se demande si ces questions de programmation ne sont pas aussi révélatrices d’une incroyable myopie des professionnels du cinéma et s’il ne faut pas secouer les schémas qui ont régi les relations entre le petit et le grand écran, imposant notamment aux chaînes des interdictions de diffusion de films certains jours ou un plafond de diffusion de longs métrages.
Si la télévision a du mal à diffuser le cinéma, ses autres obligations de production dans le 7e art sont aussi parfois sources de conflits. Bailleurs de fonds essentiel du cinéma, les chaînes ont apporté, en 2005, 29,5 % au financement des films d’initiative française. Autre façon de dire que sans la télévision le cinéma n’existerait pas. Mais la liste des producteurs éconduits par les chaînes de télévision ne cesse de s’allonger, puisque le nombre de films produits a considérablement augmenté – 240 en France en 2006 –, alors que le nombre de guichets de financement n’est pas extensible.

France 2 Cinéma a tout de même coproduit 35 films en 2005, dont 14 premiers films, et France 3 Cinéma en a cofinancé 22, dont 7 premiers films. Michel Reilhac, qui dirige le cinéma sur Arte, rappelle que la chaîne franco-allemande – la seule qui ne soit pas statutairement soumise à des obligations de production dans le cinéma – reste « l’un des derniers espaces où l’on peut coproduire sans se préoccuper du nombre de billets vendus ».
Mais le désarroi persiste. Malgré tous les beaux discours sur l’exception culturelle, le cinéma d’auteur est de plus en plus fragilisé.
Bon nombre de réalisateurs et de producteurs se plaignent de la standardisation des films réclamée par les télévisions.

Aux questions de scénario s’ajoute le choix des comédiens. Les télévisions cofinancent les films à condition que les rôles principaux soient tenus par des comédiens connus. Une nouvelle exigence des chaînes qui contribue à envenimer les relations entre le cinéma et la télévision. La question de l’invention d’un nouveau schéma de financement du cinéma mérite d’être posée, afin d’élargir le nombre de ses financiers. Au moment où Internet et les groupes de télécommunication profitent largement du 7e art, il serait logique qu’ils financent cette activité. Cela nécessiterait une nouvelle loi. Un projet ambitieux qui risque d’être reporté après les élections.
(Nicole Vulser, Le Monde, 6 janvier 2007)