"Coloscopie de la Nouvelle Vague", de Paul Bonis

La Lettre AFC n°285

Coloscopie de la Nouvelle Vague, à paraître en librairie, est le récit d’une vie. La vie de cinéma qu’a vécue Paul Bonis et qu’un psychologue hospitalier a suggéré au directeur de la photographie de raconter, à la suite d’un choc opératoire, trouvant « l’idée bonne pour l’entretien de [sa] santé mentale ». Souvenirs, anecdotes amusantes, réflexions personnelles et insolence, à lire au fil des pages de cet essai autobiographique. Extraits...

Avant le cinéma
« [...] Notre professeur de français eut l’idée géniale de nous proposer comme sujet de dissertation, une fois par mois, un commentaire après la vision d’un film. Pour cela, il s’était abonné à la Fédération française des ciné-clubs, d’obédience communiste, et ce curé nous a projeté plein de films russes pour nous faire progresser en français.
Ne souhaitant pas devenir curé, j’ai vu dans le cinéma une opportunité pour me diriger vers un autre destin. J’ai trouvé alors une brochure répertoriant les différentes écoles et carrières possibles, et c’est sur ce catalogue que j’ai choisi le métier de cinéaste.
Deux écoles existaient à l’époque : l’Idhec, via une licence, ce qui était financièrement inabordable pour moi, et l’école de Vaugirard, qui était gratuite et accessible avec une bourse et un concours d’entée. Il me fallait pour cela un bac math-élém (mathématiques élémentaires), pour lequel mon prof de maths a accepté de me préparer. Tout a bien marché et je me suis retrouvé à Paris, en 1958, l’Ecole nationale de photo et de cinéma (ENPC). [...] »

Premiers pas vers le cinéma : l’école de Vaugirard
« "L’Histoire de l’art, de l’origine à nos jours", c’était l’intitulé du programme d’histoire de l’art à l’examen d’entrée à l’école de Vaugirard ! Le fainéant qui a préparé ce programme n’a pas perdu de temps en bibliothèque et cependant son programme est très complet, n’est-ce pas ? Un prof de dessin m’a aussi appris que le vert n’allait pas avec le bleu. Depuis, je souffre horriblement de voir des arbres verts en silhouette sur le ciel bleu ! (Eluard, "La terre est bleue comme une orange") Il ne faut pas croire tout ce qu’on nous dit.
Rétrospectivement, je suis étonné de voir que mon projet de faire du cinéma, projet naïf et audacieux, a fonctionné. J’obtiens une toute petite bourse et je réussis le concours d’entrée à l’école de Vaugirard, Ecole nationale de photo et de cinéma. J’opte pour la section cinéma. [...]
A l’école de cinéma, sauf exception, je trouve mes professeurs faibles et souvent absents, mais je vais tous les jours au cinéma, à la cinémathèque de la rue d’Ulm. Un professeur, Jean Vivié, m’intéresse beaucoup. Il est gracieux comme une porte de prison mais j’aime ses cours. Il nous apprend l’histoire technique du cinéma. En France, l’histoire technique est assez maltraitée. Les Anglo-Saxons sont beaucoup plus riches dans ce domaine. Monsieur Vivié, pas à pas, me donne l’envie d’aider les pionniers lorsqu’ils empruntent des voies techniques que je sais, moi, être sans issue. J’ai envie de leur souffler la solution : Plateau, Reynaud, Niepce, Daguerre, Ducos du Hauron, Marey, Muybridge, Le Prince, Demenÿ, Edison, Lumière, Dickson, etc. Le cinéma est en route et moi dedans ! »

Le Scandale : la leçon de cadrage
« [...] C’est un tournage très agréable et, pour la première fois, Claude Chabrol me confie une caméra pour une grande scène mondaine au château. La seule consigne que je reçois, c’est de suivre la comtesse qui papillonne parmi les invités, un évêque, un militaire, un préfet, un député, une autre comtesses, etc. La consigne est : "Cadre la comtesse, entière, mais ne pense qu’à son cul, puisque tout le monde ne pense qu’à ça". Il ne s’agit pas de cadrer des fesses en gros plan, celles de Stéphane Audran, mais simplement d’y penser toujours. Ceci correspond à ce que je verrai plus tard avec Pierre Zucca, en parlant d’obsessions volontaires. Ajouter aux lois du cadre et du hors-cadre, une obsession du caméraman, cela va finalement influencer l’image. C’est ma première leçon de cadrage. »

Les Bidasses en folie : le premier film en tant que chef op’
« Ce fut mon premier film en tant que chef opérateur, en 1971, un film de Claude Zidi avec Les Charlots. Mon chef électricien était un ancien de l’équipe de Raoul Coutard, un homme très expérimenté, un garde-fou efficace. Il me disait parfois : "OK, tu as une bonne idée mais si tu mettais un projecteur plus gros et un peu plus à droite, je pense que cela conviendrait mieux". Et moi d’acquiescer tout simplement.
De toute façon, dans ce film, en Normandie, on tournait essentiellement en extérieur et au soleil. Nous n’avons jamais vu un nuage. Les électriciens plaçaient quelques réflecteurs pour rendre les visages un peu plus clairs, et moi j’annonçais le réglage du diaphragme à haute voix. Au petit matin, vers 9 heures, c’était déjà 11, puis 16 avant 11 heures jusqu’à 18 heures, et ça redescendait de la même façon régulièrement avec le soir. Je n’avais donc rien à faire. Je me suis rapproché de l’accessoiriste qui était surbooké par le grand nombre des accessoires nécessaires aux bêtises des Charlots. C’était finalement très amusant et plus utile. »

Pierre Zucca, Vincent mit l’âne dans un pré et la tête manivelles
« [...] Avec Pierre, nous sommes d’accord sur quelques principes. Nous voulons une caméra froide : j’entends par là qu’elle doit être relativement fixe, qu’elle prend la parole seulement s’il y a nécessité. Pour cela, je choisis une caméra Mitchell non réflexe, démodée et pas trop chère, sur une tête manivelles, avec un viseur clair, c’est-à-dire où le caméraman ne fait pas corps avec sa machine. Il compose le cadre conformément aux répétitions, en laissant le minimum de la liberté nécessaire au comédien. Comme je n’ai pas l’habitude de la tête manivelles, cela m’a posé quelques problèmes. [...] »

Une réponse magnifique
« Une jeune réalisatrice, Christine Ehm, vient me voir pour me proposer un film avec Claude Piéplu. Dans la conversation, elle me dit ne vouloir faire aucun mouvement de caméra. Un peu inquiet, je lui demande si c’est, pour elle, une doctrine ou un vœu. Elle me répond que, ne sachant pas encore bouger, elle le fera seulement lorsqu’elle saura le faire. Cette réponse était magnifique : j’ai accepté le contrat.
Je connais et admire les films du Japonais Ozu, dont la caméra ne bouge presque jamais. C’est un art très délicat ; je l’ai constaté et j’ai aimé le pratiquer. C’est un difficile exercice de construction dramaturgique et de construction cérébrale dans l’espace.
Je ne sais pas ce qu’est devenue cette réalisatrice. Je crois qu’elle est devenue écrivaine, mais j’aurais bien aimé travailler avec elle. Le soir, j’allais voir Pierre Zucca qui montait un film. Nous avons parlé d’Ozu et de Christine Ehm. En voyant nos images, nous trouvions que nous avions encore trop bougé la caméra, malgré notre sagesse en ce domaine. »

Interrogation et encouragements existentiels
« Souvent, je me suis posé la question : comment se fait-il que je sois là ? J’ai gardé des vaches, j’ai failli devenir curé, on me laisse faire le chef opérateur avec Les Charlots et je suis correctement payé. Je n’ai pas couché, je n’ai pas d’appui dans le milieu, je ne suis ni juif ni homosexuel, je n’ai pas épousé de banquière, alors je dis à tous ceux qui sont dans le même cas : allez-y, c’est possible ! »

Le livre de Paul Bonis sera présenté vendredi 13 avril 2018 à partir de 18h30, Salle Jean Le Mené, au centre du Bono (Morbihan),.

Coloscopie de la Nouvelle Vague, de Paul Bonis
Editions Les Mandarines
10 euros dans toutes les bonnes librairies
Possibilité de commande en s’adressant à lesmandarines56 chez orange.fr.