Conférence AFC "La restauration des films"

Par Pascale Marin, AFC

Intervenants pour l’AFC, Laurent Dailland et Jean-Marie Dreujou, présents à Toruń, et Caroline Champetier, dans un entretien filmé au préalable. Audrey Birrien, responsable gestion de projet, et Benjamin Alimi, directeur du laboratoire Hiventy Classics. La discussion était modérée par Clémence Thurninger.
"La Règle du jeu", de Jean Renoir (photographié par Jean Bachelet) - Avant et après restauration
"La Règle du jeu", de Jean Renoir (photographié par Jean Bachelet)
Avant et après restauration

Benjamin Alimi présente le laboratoire Hiventy, basé à Joinville-le-Pont, construit en 1906 par Charles Pathé et où, aujourd’hui, les technologies les plus anciennes côtoient les technologies les plus modernes. Ils sont au cœur du dialogue entre film et digital.
Ils ont notamment travaillé sur Spencer, de Pablo Larrain (DP Claire Mathon), Jeanne du Barry, de Maïwenn (DP Laurent Dailland), et les deux derniers films de Wes Anderson (DP Robert Yeoman).

Pourquoi restaurer ?
Pour faire revivre les films afin de pouvoir les projeter dans les meilleures conditions possibles, que ce soit en salle ou sur tout type de supports, diffusions en streaming, BluRay, etc.
Egalement afin de les préserver sur le long terme. Enfin et par dessus tout pour permettre leur transmission.

Comment restaurer ?
Ils essaient d’être fidèles au film tel qu’il a été voulu mais également d’être fidèles aux technologies d’aujourd’hui. C’est un travail ou l’intervention du réalisateur et du directeur de la photo est cruciale.
La présence des directeurs de la photo se généralise en France et cela les satisfait énormément car c’est vraiment la meilleure façon de faire.
Ils ont notamment participé à la restauration de Didier, d’Alain Chabat (DP Laurent Dailland),
L’Annonce faite à Marie, d’Alain Cuny (DP Caroline Champetier), La Haine, de Mathieu Kassovitz (DP Pierre Aïm), qui est un film avec un look très spécifique tourné en négatif couleur et tiré en noir et plan sur une pellicule son.

Quand les films sont plus anciens et que l’équipe n’est plus là, on essaie d’avoir des copies de référence ou des éléments comme des interviews ou le scenario, tout ce qui pourra nous permettre de rester fidèles.
La troisième possibilité est de travailler avec des historiens du cinéma.

Jean-Marie Dreujou et les autres intervenants - Photo Katarzyna Srenicka
Jean-Marie Dreujou et les autres intervenants
Photo Katarzyna Srenicka


Intolérance
Jean-Marie Dreujou raconte comment Jacques Poitrat l’a contacté pour la restauration d’Intolérance, de G.W. Griffith. C’est Aline Conan qui étalonnait.
Intolérance a la particularité d’avoir de nombreuses bobines teintées par virage mais ces bobines sont différentes selon les pays. Toute la question était de déterminer quel était le bon montage.
Jacques Poitrat a fait des recherches impressionnantes afin qu’ils arrivent à la copie qui semblait la plus juste. Jean-Marie lui-même s’est référé aux livres écrits par le chef opérateur de Griffith, Billly Bitzer et son assistant caméra Karl Brown.


Il encourage tous les directeurs de la photo à prendre des notes et à laisser des traces de leur travail pour la postérité et les historiens de demain.

Astérix mission Cléopâtre
Laurent Dailland évoque le cas d’Astérix mission Cléopâtre, d’Alain Chabat, qui est en restauration actuellement. C’est un film qui a rencontré un très grand succès à sa sortie mais dont il n’est pas possible aujourd’hui de faire des projections car les copies sont vieilles et il n’existe pas de DCP.
Sur le détail de sa restauration, il n’y a pas de montage négatif, il faut aller rechercher les plans dans l’une des 350 bobines de rushes, les VFX sont en HD 8 bits. L’ensemble est aujourd’hui scanné en 4K 16 bits. C’est littéralement une nouvelle vie pour ce grand film populaire.
Laurent se souvient que le film avait nécessité huit semaines d’étalonnage car c’était alors les tous débuts de l’étalonnage numérique et qu’il fallait faire de constants allers retours entre la salle d’étalonnage et la salle de projection.

Workflow
Le type de restauration diffère bien sûr selon l’époque et le support sur lequel le film a été tourné : du 19e siècle aux années 2000, ils étaient tournés en film et postproduits en film.
Entre 2000 et 2003, ils pouvaient avoir été tournés en film mais postproduits en HD ou 2K 8 bits, le meilleur standard à l’époque. Enfin, du début des années 2000 à nos jours, ils peuvent avoir été tournés en digital et postproduits en digital mais selon des standards très variés.
Audrey Birrien détaille un exemple de worflow : quelle que soit la date de production du film, toute restauration commence par un inventaire des éléments existants tant pour l’image que pour le son.

Quand le film a été tourné en argentique la meilleure source est le négatif, en l’absence de négatif ils cherchent les inter-positifs ou inter-négatifs. Puis ils procèdent à la vérification des éléments, leur réparation, leur nettoyage. Ensuite ils scannent, en adaptant le modèle de scanner et sa rapidité à l’âge et à la fragilité des éléments scannés. Puis c’est la phase de restauration digitale avec un soin particulier à préserver la texture tout en éliminant les défauts dus au passage du temps. Ils y apportent autant de soin que s’ils restauraient une peinture.
Intervient ensuite l’étalonnage, en prenant, par exemple, une copie 35 mm en référence. Ils sont à même de gérer toutes sortes d’espaces colorimétriques en fonction des différentes sorties.

Quand le film a été tourné en numérique, c’est parfois plus difficile de trouver la meilleure source.
Il est généralement nécessaire d’upscaler et contrairement au 35 mm en termes de dynamique et d’espace colorimétrique, tout n’est pas forcément là.


Photogrammes de "Mauvais sang", de Leos Carax (photographié par Jean-Yves Escoffier)
Photogrammes de "Mauvais sang", de Leos Carax (photographié par Jean-Yves Escoffier)


Mauvais sang
Dans un entretien filmé en amont du festival Caroline Champetier et Frédéric Savoir reviennent sur la restauration de Mauvais sang, de Leos Carax. Caroline explique qu’elle n’était pas contente de la façon dont les choses se passaient, notamment parce qu’elle n’avait pas été impliquée dans le processus du scan. Il était trop dense, le négatif était de la Fuji de 1986 et il y avait une distorsion dans les verts à l’arrière-plan. Elle avait l’impression de ne pas avoir toutes les subtilités des couleurs du film. Elle a donc contacté Frédéric Savoir qui est venu aider car il adore le film, cela leur a pris deux semaines. Frédéric explique qu’en restauration, l’un des problèmes est d’avoir une image très propre. Ils essayaient de garder le grain aussi fin que possible, car si on retire la texture qui colore le film on peut alors travailler les couleurs de façon plus subtile.
Ils n’utilisent pas un plug-in qui nettoie automatiquement, ils travaillent plan par plan de façon a garder tout ce qui est nécessaire et d’ôter seulement le superflu.
Caroline insiste sur le fait que les directeurs de la photo doivent être impliqués dès l’étape du scan.
Elle évoque le directeur de la photographie du film, Jean Yves Escoffier, chef opérateur très talentueux mort prématurément.

Quand on est dans un processus de restauration, chaque film a une histoire mais chaque plan a une histoire : est-il bien exposé ou pas ? Quels détails en déco, en termes de maquillage… ?
On entre dans une vraie obsession pour la qualité de chaque plan, cela prend du temps mais c’est un temps nécessaire pour faire les choses bien et conserver notre patrimoine.

Laurent Dailland - Photo Katarzyna Srenicka
Laurent Dailland
Photo Katarzyna Srenicka


Est-Ouest
En introduction de son intervention Laurent Dailland rappelle qu’Est-Ouest est un film sorti en 1999, une coproduction franco-russe tournée à Kiev, en Ukraine avec des acteurs ukrainiens, russes et français. Est Ouest a représenté la France aux Oscars.

Au regard des évènements actuels, l’AFC voudrait dire que la culture et les films sont au-dessus des états et des gouvernements. Nos pensées vont aux artistes ukrainiens et en particulier à l’association ukrainienne de cinématographie que nous avons reçue à Paris il y a quelques années lors du Micro Salon AFC. Il nous faut aussi penser à tous les cinéastes, techniciens et artistes russes qui ont dû fuir leur gouvernement et quitter leur pays depuis février dernier.

Avant le tournage d’Est-Ouest, Régis Wargnier avait montré à Laurent beaucoup de peintres de l’Est. Il lui avait notamment donné Valentin Serov comme référence, c’était exactement ce qu’il voulait, un mélange de noir et blanc et de couleur.
Ils n’avaient que des pellicules, des astuces et le peu de possibilités que leur laissait l’étalonnage photochimique de l’époque, mais ils ont trouvé une solution.
La négative était de la Fuji 320 car c’était la plus douce. Tous les plans intérieurs et extérieurs ont été flashés au filtre Varicon, le seul ajustement possible était à "l’œil" dans le viseur.
Il a ainsi obtenu un négatif très doux et les chimistes du laboratoire Eclair ont traité chaque copie en sans blanchiment partiel. Et le résultat est pleinement satisfaisant.

Seulement, après les copies, il faut faire le télécinéma et c’est un choc : impossible de reproduire ce qu’on avait vu au cinéma sur les copies vidéo. On peu seulement contraster un peu et désaturer un peu. L’image sur les DVD, les VHS et les diffusions TV n’est absolument pas fidèle au film mais à l’époque, nous n’avions pas de solution.

Quand Régis Wargnier décide de restaurer le film, d’une part Laurent redécouvre ce qu’il a fait 24 ans auparavant mais il a aussi toute son expérience d’étalonnage numérique accumulée depuis.
Ils repartent du négatif et avec la science des couleurs de Bruno Patin, d’Eclair, ils retrouvent le film.
L’étalonnage numérique et le travail de Bruno ont permis de produire, entre autres, un DCP extrêmement proche des copie d’exploitation de l’époque. Il est maintenant possible de voir Est-Ouest et de le transmettre avec le travail de Laurent respecté.

"Est-Ouest" : Sandrine Bonnaire et Oleg Menchikov - Photogramme
"Est-Ouest" : Sandrine Bonnaire et Oleg Menchikov
Photogramme


"Est-Ouest" : Catherine Deneuve et Sergueï Bodrov - Photogramme
"Est-Ouest" : Catherine Deneuve et Sergueï Bodrov
Photogramme


"Est-Ouest" : Sandrine Bonnaire et Oleg Menchikov - Photogramme
"Est-Ouest" : Sandrine Bonnaire et Oleg Menchikov
Photogramme


Préservation à long terme
Aujourd’hui le stockage numérique se fait sur des LTO 8, mais il est nécessaire de faire des migrations constantes et de stocker dans deux endroits différents.
Cependant, la meilleure façon de préserver un film est de revenir sur film et de transférer aussi sur pellicule toutes les données qui ont trait au film.
Ironique de savoir que ce support qui a plus de 120 ans est le plus fiable, conservé au frais et avec le bon taux d’humidité, c’est 150 ans de conservation pour le film couleur et 400 ans pour le film noir et blanc. Et pour avoir accès aux infos, une source de lumière suffit. En LTO les générations changent tous les 3 à 5 ans environ.

Laurent Dailland précise que dans Astérix mission Cléopâtre il y beaucoup de VFX faits dans un standard DTF or, en France aujourd’hui, il est impossible de lire un fichier DTF. Heureusement ils ont trouvé quelqu’un en Angleterre capable de le faire.
Mais il faut savoir que tous les films étalonnés à l’époque avec le Spector sont dans le même cas, tandis que les films tournés en film sont préservés.

Ce problème pourrait se poser à nouveau, les productions ont la responsabilité de préserver leurs données. Mais certaines ne font souvent que la première génération de LTO et ne paient pas les suivantes.
Les entreprises Hiventy ou Noir Lumière, par exemple, font un back-up de qualité sur lequel on peut compter avec des migrations régulières.
Par ailleurs, la FIAF, association de toutes les cinémathèques de part le monde, fait tout son possible pour avoir des informations sur les équipements qui sont obsolètes mais qui pourraient s’avérer très utiles à l’avenir.

Aujourd’hui nous devons penser à la restauration, à la préservation et à la conservation de nos images.

(Compte rendu rédigé par Pascale Marin, AFC)