Conrad Hall (1926 - 2003)

par Marc Salomon

AFC newsletter n°118

C’est un des opérateurs majeurs qui vient de disparaître. Nous n’en voulons pour preuve que la quasi-unanimité dont il jouissait auprès de ses confrères du monde entier qui admiraient son travail à chaque fois aussi inventif que rigoureux, tant sur le plan de la lumière que sur ceux du cadrage (le plus souvent en Scope) et du découpage des séquences.
« Je pense que son travail est fantastique parce qu’il est très varié. Ce n’est pas tant qu’il a un style, mais on reconnaît toujours son travail d’une façon ou d’une autre » déclarait justement Roger Deakins.

Né à Papeete en 1926, fils de l’écrivain James Norman Hall (co-auteur des "Mutinés du Bounty"), il étudie d’abord le journalisme à l’USC avant de s’orienter vers le cinéma sous l’impulsion de Slavko Vorkapich.
Diplômé en 1949, il commence à pratiquer la prise de vues au sein de sa propre maison de production (Canyon Films), il travaille aussi pour Walt Disney, puis rejoint le cinéma de fiction en tant que cadreur aux côtés de Robert Surtees, Ted McCord ("Private Property" de Leslie Stevens en 1960) mais aussi Ernest Haller, Floyd Crosby et Hal Mohr.
Dans tous les entretiens, Conrad Hall reconnaît sa dette envers Ted McCord. Injustement oublié aujourd’hui, McCord fit la plus grande partie de sa carrière à la Warner et les cinéphiles retrouveront beaucoup du savoir-faire de McCord dans le travail de Conrad Hall, particulièrement dans sa manière incisive d’éclairer les décors en profondeur et de savoir installer une atmosphère avec une apparente économie de moyens. « Vous pouvez faire davantage avec peu de lumière » déclarait McCord, propos rapportés par Hall qui ajoutait : « Il accordait plus d’importance aux arrière-plans. »
On notera au passage qu’il a formé à son tour des opérateurs comme William Fraker, Jordan Cronenweth (tous deux à ses côtés sur "Les Professionnels"), mais aussi Bobby Byrne, Thomas del Ruth et son propre fils Conrad W. Hall Jr.

Conrad Hall devient directeur de la photographie sur des séries TV ("Stoney Burke") avant de faire ses vrais débuts au cinéma avec "The Wild Seed" en 1965.
Si "Morituri" (avec Marlon Brando) nous apparaît aujourd’hui comme le travail d’un élève appliqué, le talent de Conrad Hall s’exprimera dans les deux années qui suivent, en N et B, avec Richard Brooks ("Les Professionnels", "De sang froid") puis en couleurs avec Stuart Rosenberg ("Luke la main froide", une de ses plus belles photographies).
Mais sa maîtrise du noir et blanc était patente dès 1965 avec "Incubus", film rare, inclassable et étrange, tourné en 10 jours et en esperanto, allégorie sur fond de magie noire à laquelle Hall reconnaissait ne jamais avoir rien compris ! Restent les images tout en contrastes heurtés et cadrages au cordeau qui rappellent aussi bien le travail de Gianni di Venanzo ("Huit et demi") que celui de Gunnar Fischer avec Bergman ("Le Septième sceau", "Les Fraises sauvages").