Conversation avec Yves Cape, AFC, SBC, à propos des optiques Leica Summilux-C

Par Ariane Damain Vergallo

par Ernst Leitz Wetzlar La Lettre AFC n°262

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Au Micro Salon, à La fémis, et à Paris Images Pro, au Carreau du Temple, l’affluence au stand CW Sonderoptic autour des optiques Leica ciné fût telle qu’il est permis de penser que plus personne n’ignore désormais que cette filiale du géant historique des appareils photo fabrique des objectifs pour le cinéma ; les séries Leica Summilux-C et Leica Summicron-C dont Tommaso Vergallo est l’ambassadeur en France.
Summilx 135 mm - Photo CW Sonderoptic / Hercher
Summilx 135 mm
Photo CW Sonderoptic / Hercher

Nous avions commencé une discussion avec Yves Cape sur le stand que nous avons continuée, deux heures durant quelques jours plus tard, avec la fièvre des passionnés de l’image. Comme nous étions assistants caméra à peu près à la même époque nous avons déroulé le fil des fantastiques évolutions technologiques que notre génération a connues.
Si ce n’était une question d’ergonomie, d’usage et d’accessoires, le choix de la caméra n’était pas vraiment, à l’instar d’aujourd’hui, un problème. La caméra servait à dérouler la pellicule, point. Elle n’intervenait pas du tout sur l’aspect de l’image. Le choix portait plutôt sur le type de pellicule, le laboratoire – nous les assistants croisions les doigts pour qu’aucun conflit même mineur ne vienne à nous brouiller avec le labo et rejeter sur nous la responsabilité de problèmes éventuels – et surtout les objectifs (les assistants entre eux se refilaient les numéros des meilleures séries d’optiques), d’ailleurs les opérateurs de cette génération se réfèrent constamment au rendu de telle ou telle marque d’objectifs désormais qualifiées de "vintage".

L’arrivée du numérique et l’abandon décisif du 35 mm pour la salle de cinéma en 2012 a ouvert un abîme de possibilités et multiplié les interlocuteurs. Le choix de la caméra est fondamental tout comme celui des optiques. Le laboratoire peut intervenir très en amont et l’étalonneur est désormais un collaborateur incontournable dans le rendu final du film.
Yves Cape nous racontait la discussion serrée qu’il avait eue avec son équipe à propos du seul choix de la caméra pour son prochain film, La Sage-femme, de Martin Provost, avec Catherine Deneuve et Catherine Frot, produit par Curiosa Films ; les arguments et contre-arguments fusaient, c’était comme une réunion de fins stratèges avant une bataille décisive !
Dans le choix des optiques le directeur de la photo s’attaque à son cœur de métier, savoir faire des belles images en cohérence avec le projet du film. L’ultra définition des caméras a rendu cette étape fondamentale. Une fois la caméra choisie – avec beaucoup de circonvolutions comme on l’a vu – il faut la confronter avec les séries d’optique dont on subodore qu’elles pourront "s’entendre" avec la caméra, en glissant toutefois lors des essais des séries "outsider" afin de conforter le choix final.

Yves Cape a fait ses deux derniers films avec les séries d’optique Leica-C : Chronic, de Michel Franco avec Tim Roth, et Orpheline, d’Arnaud des Pallières qui met à l’honneur un trio de jeunes actrices françaises de la nouvelle génération ; Adèle Exarchopoulos, Adèle Haenel et Solène Rigot.
Deux films très différents avec des réalisateurs et des méthodes de travail presque opposées. Avec Michel Franco, un travail à l’ancienne, cadres très précis, réalisme des scènes, visages et corps inscrits dans des décors dont la géométrie structure fortement l’image. Pour cela les optiques Summilux-C s’imposaient tant leur absence de distorsion horizontale et surtout verticale dans les courtes focales – même le 16 mm – saute aux yeux.
Pour les scènes de nuit, il importait à Yves Cape de travailler sans aucune lumière c’est à dire à 1.4 et d’être assuré d’une belle définition, ce qui est le cas avec les optiques Summilux-C dont le rendu est optimum à pleine ouverture 1.4, 2 et 2.8 avec une illumination quasi égale d’un bord à l’autre de l’image. La précision et le goût de l’épure du réalisateur Michel Franco les a conduits, au fil du tournage, à n’utiliser que trois focales fixes : le 25 mm, le 40 mm et le 65 mm.

Le film d’Arnaud des Pallières s’est fait dans de toutes autres conditions. Il a été majoritairement tourné à l’épaule, pratiquement sans répétition, Yves Cape à la caméra devant coller au plus près des jeunes comédiennes. Pour cela il s’est interdit les trop courtes focales, rendant pourtant le bougé plus acceptable, pour ne pas basculer les décors en panoramique, se centrant en permanence sur le visage des comédiennes comme pivot des mouvements.
Son confort de cadreur étant assuré avec des optiques Summilux-C ayant toutes le même poids et une gamme de focales très étendue et pour son assistant caméra exactement la même gravure des distances sur la bague de mise au point et ce pour toutes les focales de la série – du 16 mm au 135 mm – ce qui induit des automatismes et donc facilite le travail du pointeur. La quasi absence de "flare" rend encore plus pertinente l’utilisation de ces objectifs dans une pratique tout terrain.

Série Summilux du 16 au 100 mm - Photo Jon Fauer / <i>F&D Times</i>
Série Summilux du 16 au 100 mm
Photo Jon Fauer / F&D Times

Yves Cape a un credo : il aime que la scène l’emporte sur l’image et il choisit aussi ces objectifs pour leur aspect réaliste, équilibré et "normal" en quelque sorte, avec un flou agréable et pas trop souligné en arrière plan, même s’il goûte aussi la douceur du rendu de la peau qui n’altère en rien la définition de l’image que l’on peut trouver dans l’éclat d’un œil, le battement d’un cil ou les poils d’une barbe que l’on peut presque détailler un à un tant ils sont nets. Le fait que même la focale 16 mm couvre le capteur en 4K et en 6K est aussi un argument en faveur du choix final.

Summilux 16 mm - Photo CW Sonderoptic / Hercher
Summilux 16 mm
Photo CW Sonderoptic / Hercher

Et si Yves Cape avait un souhait à formuler à propos des optiques Summilux-C, ce serait celui de pouvoir disposer d’un zoom court, par exemple un 25-85 mm, qui suffirait à son bonheur d’opérateur amoureux des images. Souhait immédiatement relayé !

Merci à Yves Cape pour cette amicale et passionnante discussion. Merci à l’AFC et à ses zélés organisateurs qui font du Micro Salon d’année en année un rendez-vous.

Films à l’affiche tournés avec des optiques Leica :
- Chocolat, de Roschdy Zem, image Thomas Letellier
- Tout schuss, de François Prévôt-Leygonie et Stéphan Archinard, image Stephan Massis, AFC
- Les Innocentes, d’Anne Fontaine, image Caroline Champetier, AFC
- Dieumerci, de Lucien Jean-Baptiste, image Colin Wandersman.