Conversation avec Stéphane Fontaine, AFC, à propos de son travail sur "Revoir Paris”, d’Alice Winocour

Dans Revoir Paris, Virginie Efira incarne Mia, une victime des attentats du 13 novembre 2015, revenant à Paris trois mois après l’attaque, et cherchant à retrouver ses souvenirs de l’événement. Avec sincérité et pudeur, le film dresse le portrait d’une jeune femme et d’une ville qui cherchent toutes deux à se reconstruire après le traumatisme. Après une sélection à la Quinzaine des réalisateurs, le film est présenté à Camerimage, dans la sélection Contemporary World. A cette occasion, Margot Cavret a rencontré Stéphane Fontaine, AFC, directeur de la photographie de ce film, pour évoquer avec lui cette première collaboration avec la réalisatrice Alice Winocour.

Stéphane Fontaine : « Tous les réalisateurs ont des modes de fonctionnement différents, chacun a sa méthode, un façon particulière d’approcher le film. Certains sont littéraires, d’autres visuels... Les discussions avec Alice nous ramenaient sans cesse aux émotions et aux pensées de ce personnage. C’était primordial dans la mesure où le personnage de Mia a perdu la mémoire.
On peut imaginer énormément de choses avant le tournage, mais il y a un élément qui est imprévisible et absolument bienvenu, c’est le jeu de l’acteur. Et je pense qu’au moment du tournage, et pour le film qui intéressait vraiment Alice, ça passait vraiment par ça : observer ce que fait l’acteur, être à l’écoute de ses propositions.
Paris n’est pas seulement un personnage, c’est aussi le sujet du film. Alice en a beaucoup parlé tout au long du tournage. C’était important pour elle, par rapport à ce que représentent les attentats, dans cette ville qu’on surnomme la ville-lumière, de montrer une ville vivante, lumineuse. Cela passe en particulier par la recherche du personnage de Mia à travers cette ville. Montrer cette femme dans la ville et dans la vie. »


Margot Cavret : Le film est marqué par une photographie sensible et expressive, tantôt adoucie par des flares ou assombrie par des inserts ne révélant la scène que partiellement. Porté par des couleurs franches et symbolistes, le film navigue entre l’actuel et le souvenir, réel ou inventé. Le personnage de Mia recompose d’abord la scène de son traumatisme en s’imaginant ce qu’on lui raconte avoir vécu, avant de parvenir à reconquérir, partiellement, graduellement, sa mémoire défaillante. À l’image, cadre et lumière s’accordent à ces différents paliers de réalité, pour rester au plus proche des émotions du personnage.

SF : « J’aime beaucoup utiliser un grand capteur pour filmer les visages et pensais tourner en RED Monstro mais j’ai finalement profité de la sortie de la RED Raptor moins d’un mois avant qu’on ne commence. Ça fait longtemps que je tourne essentiellement en RED et je la comprends un peu mieux à chaque tournage. En vérité, ce qui compte est d’être à l’aise avec ses outils, et j’ai le sentiment qu’aujourd’hui ce sont surtout les objectifs qui vont modifier le style de l’image.
Pour ce film, j’ai utilisé une série Canon K35 complétée par des Canon FD, tous recarrossés par TLS. Nous cherchions un rendu le moins clinique possible, et ces objectifs ont une certaine douceur, et en même temps du contraste. Ils sont assez sensibles au flare et ça se prêtait assez bien à ce qu’on avait envie de voir. Jodie Arnoux a effectué un travail remarquable au point, dans des conditions souvent fort complexes.


Le moodboard comprenait beaucoup de références associant des ambiances chaudes et froides, des oppositions chromatiques. Cette envie de couleurs nous a donné un fil conducteur fort pour imaginer le film. Alice avait aussi fait des premiers repérages, et remarqué un café, dont toutes les lumières étaient rouges, d’un rouge très fort, très monochrome, et ça l’intéressait de commencer le film en y installant ses deux personnages dont le monde va basculer. À partir de là nous avons commencé à imaginer ce que pourrait être un voyage au pays de la couleur.
À l’étalonnage, j’ai travaillé chez Ike No Koi avec Isabelle Julien. Comme toute activité mêlant technique et sensibilité, l’étalonnage est une étape cruciale où les qualités artistiques priment. Je vais rarement contre le négatif et les propositions d’Isabelle sont toujours pertinentes, visuellement et dramatiquement. »

MC : Il y a plusieurs scènes-clés dans le film, parmi lesquelles une scène d’intimité entre deux personnages, deux victimes que la tragédie a rapprochées, et qui découvrent alors sur le corps de l’autre les mêmes cicatrices, souvenirs douloureux à jamais inscrits sur leur peau. La scène a donc ceci de particulier qu’elle ne cherche pas à idéaliser des corps, mais au contraire à souligner leurs singularités, et l’acceptation de leurs défauts par soi et par l’autre.

SF : « Du tournage de cette scène, j’ai le souvenir d’une grande simplicité. Ce qui était plutôt notre chance c’est qu’on a bénéficié d’une très forte timidité des deux comédiens, et en particulier de Benoît Magimel. Aucun des deux n’avait réellement envie de se montrer, et c’était bien pour la scène, parce que ça correspondait au trajet des personnages. On a réussi à raconter cette séquence, avec seulement des morceaux de corps, jamais des corps entiers. Il y a une main, un genou, une cicatrice, mais jamais plus large, et c’est bien parce qu’on les voit en train de se reconstruire, mais morceau par morceau. »

MC : Autre scène marquante du film, celle où se recueillent une dernière fois familles et victimes, Place de la République. L’observant d’abord par la fenêtre de son appartement, Mia fini par se joindre à cette foule. Pour Paris, il ne restera rien le lendemain ni des fleurs, ni des portraits, ni des bougies dont les flammes vacillantes éclairent cette nuit froide. Pour Mia au contraire, c’est le début d’une nouvelle étape, ses souvenirs retrouvés, c’est le moment pour elle d’assumer la réalité et d’aider à son tour d’autres victimes à avancer dans leur deuil. Sous ses apparences de veillée mortuaire, cette scène est donc chargée d’un souffle d’optimisme.

SF : « C’est une scène qui est beaucoup éclairée à la bougie. Il y avait énormément de circulation, ce qui était compliqué pour le son bien sûr, mais aussi pour l’image dans la mesure où les phares des voitures créaient des ombres et des lumières désagréables sur les visages des comédiens. J’aimais bien l’idée d’avoir des couleurs qui se déplacent, mais le coté très ponctuel de ces sources les rendaient plastiquement déplaisantes. Donc il a fallu nous entourer d’un rideau de diffusion pour adoucir toutes ces lumières parasites.
L’appartement qu’elle occupe seule était vraiment très petit et très bas de plafond, car situé sous les toits. On aurait pu tricher et le faire en studio, ça a même été une question qui s’est posée pendant la préparation mais c’était important pour Alice que ce décor puisse directement donner sur la place de la République. Donc nous nous sommes beaucoup servi des fenêtres dans ce décor, ainsi que des lampes praticables. On pourrait dire que c’est du réalisme, lié à ces sources dans le champ, mais pas réellement car le choix des couleurs a permis d’obtenir des identités visuelles différentes dans chaque pièce.


D’autres décors ont été construits en studio. Le décor de la brasserie est né de la juxtaposition d’une vraie brasserie parisienne et d’une arrière-salle construite en studio par la cheffe décoratrice Margaux Remaury. Et dans ces deux lieux, il y a des miroirs absolument partout. Ceux du studio ont été conçus de manière à pouvoir pivoter sur leur axe vertical, afin d’éviter des reflets malvenus. Cette contrainte apparente est devenu un atout, offrant un espace démultiplié sans cesse changeant.
Un dernier mot pour saluer ici la contribution technique et artistique d’Antonin Gendre et Thomas Garreau, respectivement chef-machiniste et chef-électricien.

(Entretien mené et retranscrit par Margot Cavret, pour l’AFC)