De Cine Gear Expo 2016 à l’International Cinematography Summit

Par Richard Andry, AFC

by Richard Andry AFC newsletter n°266

En route pour la Nouvelle-Orléans, j’ai pu faire un détour par Los Angeles pour assister à l’International Cinematography Summit 2016 (ICS) organisé par l’ASC et auparavant faire un petit tour à Cine Gear Expo.

Cine Gear Expo


Jeudi 2 et vendredi 3 juin
C’est un méga Micro Salon, avec, toute proportion gardée, la même ambiance chaleureuse, celle du métier partagé, où tout le monde (ou presque) se connaît… ou fait semblant. Ce qui est très sympa.
Elle est Installée dans une (petite) partie des Studios Paramount, sur trois plateaux et en extérieur autour de ceux-ci, et on peut y trouver tout (ou presque) ce qui se fait de mieux (ou presque) dans le domaine technique de notre métier. Caméras, optiques (il y a la "rue des optiques" : Angénieux, Canon, Cooke, Leitz, Nikon, Rokinon, Schneider, Zeiss, etc.) supports, machinerie, gimbals, grues, éclairage (avec nos amis de K 5600 USA et ceux de DMG Lumière venus conquérir le marché américain), filtres (dont notre fidèle membre associé Lee Filters en la personne de Ralph Young), software, (Philippe Reinaudot s’est taillé un franc succès avec son logiciel Firefly qui a intéressé beaucoup de nos collègues de nationalités diverses) et enfin tous les accessoires indispensables au tournage de films. Arri, présent en force et qualité, proposait, entre autres, ses impressionnants nouveaux systèmes de stabilisation Maxima et Trinity que nous aurons la chance de voir bientôt à Paris.

On m’avait prévenu : en extérieur c’est le "cagnard". Chapeau et crème solaire. J’ai dégotté un galurin de peone offert par Teradek et j’ai été fort bien accueilli par nos amis d’Outre-Manche qui étaient là en nombre, la BSC (avec "Monsieur" Joe Dunton) et Alan Lowne du British Cinematographer Magazine, qui m’a tout de suite présenté à Jeffrey des Studios de Pinewood (qui avaient ouvert un pub éphémère dans lequel on pouvait s’hydrater et se restaurer), pour que j’y obtienne un pass. Quand tu voyages à l’étranger, Alan, quoique Anglais, est un vrai couteau suisse et lui et Ralph Young sont toujours là prêts à te dépanner, je les considère comme des vrais amis de l’AFC.
Angénieux avait sorti l’artillerie lourde et le tout nouveau 44-440 A2S Anamorphic impressionnait tout autant les curieux que les initiés. Otto Niemetz m’a confié en avoir déjà fait l’acquisition d’un exemplaire. Un bel ensemble de cailloux montés sur des caméras et derrière, fidèles au poste : Pierre Andurand, Paulette Dumerc et Yasuhiko Mikami (un de mes compères du Prix Vulcain 2014). Une belle équipe qui se protégeait du soleil avec les casquettes siglés ASC. Le show était solaire. Un bien beau spectacle.

Vittorio Storaro, AIC, ASC, que j’avais rencontré à Cannes, m’avait alors invité à sa présentation du film de Woody Allen le vendredi soir à la Grande Salle des studios Paramount. Il avait tenu parole et c’est en VIP que j’ai pu assister à une "première" : la projection en 4K non compressé (cadeau de Sony et d’Amazon studios au Maestro) de Café Society, de Woody Allen, suivie d’une interview par Jon Fauer, ASC. Storaro reprenait le thème de son "passage" définitif au numérique (développé dans un article de Film and Digital Times dont vous pouvez lire la traduction sur notre site). Je l’ai retrouvé le lundi matin au Club House de l’ASC pour l’ouverture du "Summit" dont j’étais un des "ouvreurs", il était très content de la projection. Selon lui, c’est comme cela que les films devraient toujours être projetés.

International Cinematography Summit


Ce qui nous amène au lundi 6 juin, début de ce "Sommet international de la cinématographie" que l’ASC organise, de manière magistrale, tous les cinq ans. J’avais assisté au premier, en 2011, en compagnie de Caroline Champetier, alors présidente de l’AFC, de Denis Lenoir, AFC, ASC, et de Pascal Lebègue, AFC, les deux "régionaux" de l’étape, qui étaient encore présents cette année. L’ASC m’ayant invité, Nathalie Durand, notre présidente, indisponible, m’avait chargé de la représenter.
Après les discours de bienvenue de Richard Crudo, président de l’ASC, Michael Goi, ancien président et organisateur de l’ICS, et Frederic Goodich, secrétaire de l’ASC en charge des relations Internationales, l’ICS démarra sur le théme du "futur" du directeur de la photographie : "Comme conséquence de l’évolution des nouvelles technologies, le rôle du chef opérateur a-t-il pris plus d’importance sur les plateaux ? " car le thème sous-jacent de ces quatre jours était : comment le chef opérateur peut-il garder le contrôle des images en ces temps de développement numérique ? Le débat était présenté par David Mullen, ASC, et moi-même et modéré par Denis. Dans cette introduction chacun des participants a pu exposer ses espoirs et ses craintes quant au devenir de notre métier, tout en tâchant de rester très positifs. Il n’était pas question de pleurer le "bon vieux temps", Vittorio Storaro, AIC, ASC, nous rappelant, si nous l’avions oublié, que nous ne sommes pas des directeurs de la photographie mais des "auteurs de la photographie cinématographique et des coauteurs de l’image du film". A cette occasion, Joe Dunton, BSC, et Guillermo Navarro, AMC, ASC, purent s’exprimer sur l’importance de la défense de la pellicule film. Joe Dunton envisageant de créer un musée du film, en Caroline du Nord. A suivre.

Cette petite mise en bouche fut suivi d’un déplacement en vans vers le Dolby Prototyp Cinema Lab Theater, où nous fut présentée, par David Schnuelle, une démo Dolby de comparaison entre la projection laser HFR (High Frame Rate) HDR (High Dynamic Range) développée en partenariat avec Christie et la projection standard. Impressionnante, cette profondeur de noir, ces blancs lumineux et cette gamme de couleurs plus riches surlignant les détails dans l’image. Il n’y a pour le moment de par le monde que quelques dizaines de salles équipées dont cinq en Europe mais il faudra sûrement bientôt se préoccuper de l’éclairage de ces "détails".
Après le lunch, un grand moment. "Modèle de collaboration" entre le chef opérateur et l’équipe : The Revenant, avec Emmanuel "Chivo" Lubezki ASC, AMC, triple oscarisé de la cinématographie ; en présence de Steve To, le DIT du film, et Steve Scott, l’étalonneur, et modéré par Michael Goldman. Et, en écoutant Chivo, oui, collaboration il y avait sur ce film. Le DIT avait la charge d’intervenir sur l’image en temps réel, en communication HF permanente avec lui pendant le tournage de longs plans-séquences, par exemple celui de la bataille contre les Indiens de début de film, où la caméra panoramique plusieurs fois à 360°, où l’horaire de tournage du plan est à la minute près en fonction de la position du soleil. Oui, collaboration avec Steve Scott l’étalonneur, dont nous aurons la chance trois jours après d’avoir une petite démonstration/reconstitution in situ de son travail d’étalonnage sur ce film. Des dizaines de "windows" pour chaque plan, comme une construction in vitro de l’image. Une semaine d’étalonnage pour un plan. Mais là on peut se poser vraiment une question existentielle sur notre rapport direct avec l’image en ces temps numériques, qui ne correspond plus vraiment avec la position idéalisée par Vittorio Storaro.
Et Lubezki n’est pas avare d’infos. Il sait partager son expérience et bigre bougre ! C’est passionnant. On aimerait avoir les mêmes outils.

Un deuxième "exemple de collaboration" nous fut présenté par l’équipe du Livre de la jungle "Live action and virtual production". Il y avait là rassemblés: Jon Favreau, le réalisateur, Bill Pope, ASC, le chef opérateur, Rob Legato, ASC, pour les effets spéciaux, Brigham Taylor, le producteur exécutif des studios Disney, et de nouveau Steve Scott, l’étalonneur, considéré comme l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur sous le ciel hollywoodien. Jon Favreau est aussi bon commentateur que réalisateur et nous avons eu droit à une explication chaleureuse agrémentée par la projection d’extraits et d’un "making-of", sur la collaboration entre la cinématographie directe, l’image créée par ordinateur, l’animation et les effets spéciaux. Il semblait que dans ce cas d’école, notre espace de création se rétrécissait encore plus…

Il était vraiment temps de regagner le club-house pour le dîner d’ouverture où nous ont rejoints bon nombre de membres de l’ASC. Sympa.

Mardi 7, rendez-vous 8 heures du matin pour nous rendre à l’Académie of Motion Pictures Arts and Science (AMPAS) où nous prendrons le petit-déj’. Après le "welcome", au programme de la journée, présenté par Paul Debevec, Josh Pines et George Joblove : "Solid State Lighting", en résumé où en est-on avec les LEDs en matière d’indices, de standards et d’évaluation colorimétrique de rendu en fonction des différents spectres de sensibilité des caméras.
Les thèmes présentés et développés par Andy Maltz, l’après-midi concernaient l’ACES, son état actuel, l’ACES on set présenté par Francesco Giardello (DIT Workflow Supervisor, Italy/Europe), l’ACES in DI présenté par Dado Valentic (chef coloriste, My Therapy, Londres) et la perspective de son utilisation par les studios, suivi d’une table ronde et se terminant par une discussion sur les Technologies de nouvelles génération et le cinéma.
Enfin avant le déjeuner, une visite guidée du " Vault" où se trouvent stockées toutes les archives nous mit en appétit. Avant que de retrouver le débat de l’après-midi sur la conservation des archives numériques. La journée se termine, au retour au club-house, par la projection des bandes démo de chaque Association. Me rappelant que la dernière fois, nous avions été les seuls à ne pas en montrer, j’avais édité une petite bande démo éphémère à partir de photos puisées dans le stock de la Lettre de l’AFC et montée sur la musique de Friday Night in San Francisco, qui, vu son originalité, a eu beaucoup de succès et sera sûrement imitée car c’était la seule qui montrait des chefs op’ en action, les réalisations et l’ambiance de l’Association.

Mercredi 8, notre ambassadeur ASC ce jour-ci est mon vieil ami Robert Schaefer ASC, AIC. Après le petit-déjeuner que nous prenons tous ensemble au Club-house, nous attaquons le premier thème de la matinée : "Continuing relevance of film", que l’on peut traduire par "Pertinence ininterrompue de la pellicule film". En cette occasion, en s’appuyant sur des extraits de la série "American Horror Story" qu’il a tourné et réalisé en argentique, Michael Goi, ASC, exposa les raisons de ses choix, relayé par son chef décorateur Mark Worthington et épaulé par Bruce Berke de Kodak qui note au passage que l’on peut attendre une "renaissance" de tournages sur pellicule et qu’il y en aura encore dans les 100 ans à venir.

Guillermo Navarro, ASC, AMC, infatigable défenseur de l’argentique et ce depuis toujours, prenait le relais : « Le numérique, ce n’est pas un plan que l’on tourne, mais une suite de 0 et de 1 que l’on enregistre. » Et Michael Goi de conclure en matière de conservation des données : « Il y a urgence en la matière ; les premiers à disparaître seront ceux qui ne seront pas couverts par les accords signés par les Grands Studios : les films indépendants, documentaires, films d’étudiants qui perdront toutes leurs données. Ce sera une honte de voir que l’on aura perdu toutes les données qui n’étaient pas enregistrées sur film ».
Ce thème fut suivi par un exposé de Rolf Coulanges, BVK : "Y a-t-il actuellement un style cinématographique numérique qui émerge comme nouvelle valeur esthétique ?" dont nous avions eu droit à une version à l’occasion du dernier Micro Salon.
Elen Lotman, ESC, nous gratifia d’un exposé très vivant sur l’impact du caractère de l’image cinématographique sur l’empathie ressentie par le spectateur à l’égard des personnages d’un film.
Enfin, avant le déjeuner, Timo Heinänen, FSC, nous fit part de son étude doctorante sur le ratio de l’image comme outil créatif.
L’après-midi fut consacrée à la cinématographie (mot que j’emploie en tant que "écrire avec la lumière") dans la réalité virtuelle (Virtual Reality) et là même si on s’est bien amusé avec les masques, cela me laisse, en l’état actuel de cette VR, vraiment circonspect. Mais comme certains le disent : « Nous ne sommes qu’aux prémisses. »
A noter parmi les spécialistes qui nous initiaient à la VR, la présence de Céline Tricart, ancienne de Louis-Lumière.

Jeudi 9, le dernier jour de la Conférence et après le petit-déjeuner, départ pour Panavision, avec pour ambassadeur ASC, Bill Benett. Notre séquence Panavision a été très studieuse et nous sommes tout de suite entrés dans le vif du sujet avec Dan Sasaki, vice-président de l’engineering optique. "How optics influence the Aesthetic .
Etant donné la grande variété de formats offertes tant aux caméras film qu’aux capteurs numériques, s’étendant du Super 16 jusqu’au IMAX, Dan nous a montré comment le choix très étendu de la gamme d’objectifs qui nous est offerte actuellement peut permettre à chacun de nous de transcrire sa point de vue esthétique personnel.
La projection de clips nous a montré comment les trois fondamentaux de fabrication d’une image : résolution, contraste et amplification complète la capacité de notre cerveau à interpréter les indices visuels et comment ils peuvent être utilisés pour inciter une réaction émotionnelle. Dan Sasaki est un "sorcier" en la matière et nous avons eu droit à tous les tests comparatifs des nombreuses séries d’optiques proposées par Panavision.
Ensuite, oh, surprise ! Présentation de la nouvelle caméra Panavision, la Millenium Digital XL, présentée par Michael Cioni, Président de Light Iron, en charge du développement de l’espace colorimétrique de cette belle caméra dont je laisserai le soin à nos amis de Panavision de présenter toutes ses spécificités. Une bien belle (et légère) caméra que j’ai pu prendre en main.
Il y avait encore une présence française de charme en la personne de Pauline, étudiante à La fémis en stage à Panavision Los Angeles. « Elles sont partout ! », m’a fait remarquer un collègue australien quelque peu jaloux.

Notre journée s’est continuée par une visite du laboratoire Technicolor. Sur le thème "Différents processus HDR", on nous a présenté les solutions d’étalonnage, axée sur la créativité, de produits destinés autant à la grande consommation qu’aux salles de cinéma, des restaurations HDR de films anciens et un tournage sous la direction de Bill Benett, ASC (là on pouvait découvrir les problèmes de maquillage, les différences de "peau" étaient criantes).
Mike Most nous a présenté un système de "grading on-set" multi caméras, développé par Technicolor, qui sera disponible dans les mois qui viennent et apparaît fort intéressant.
Enfin, comme je vous en ai parlé précédemment, nous avons pu assister, dans la salle d’étalonnage de Steve Scott, à une reconstitution du travail d’étalonnage (Baselight) sur The Revenant. "Impressive !"
De retour au bercail, nous avons participé à une discussion présentée par Ron Johanson, ACS, Richard Blück, NZCS, et Nina Green, BSC, sur les conditions de travail, la santé mentale et les possibilités offertes aux minorités et aux femmes. Sur ce sujet, j’ai fait remarquer qu’à l’AFC, il y avait quatorze directrices de la photographie, qu’elles tournaient beaucoup et sur des films importants, que notre président était une présidente. On m’a répondu : « Oui mais en France, vous avez de meilleures conditions pour tout ! ». J’ai répondu : « En France, on se bat pour tout, tout le temps, on n’essaie de ne jamais rien lâcher et, à cette heure, je ne suis pas sûr de pouvoir rentrer à la fin du mois à Paris car il y a une menace de grève des pilotes d’Air France… ».

Si on devait tirer une morale de ces quatre jours, il faudrait dire : vu l’évolution rapide des nouvelles technologies, le directeur de la photographie ne doit plus se contenter de s’appuyer sur les connaissances des autres (en particulier celles de son assistant) mais se mettre constamment au courant de ces techniques et par là-même, de les enseigner à tous ses partenaires de création : réalisateur, producteur, décorateurs. Ce n’est que comme cela que nous pourrons garder un contrôle sur la qualité l’image.

Je tiens à remercier tout le staff de l’ASC, et plus particulièrement Patty, Delphine et Alex, et Saul pour la précision de l’organisation et de l’agenda, la qualité de la logistique qu’on peut qualifier d’impressionnante, les petits déjeuners, lunch et dîners et l’ambiance sympathique et studieuse qui nous a permis de suivre ces quatre jours d’activités intenses dans les meilleures conditions.

Merci aux ambassadeurs ASC : au président Richard Crudo, à Fred Goodich, ASC, Michael Goi, ASC, Bill Benett, ASC, Roberto Schaefer, ASC, AIC, Guillermo Navarro, ASC, AMC, et à Kees Van Ostrum, le nouveau président de l’ASC, élu juste après l’ICS.

Et un amical salut à la cinquantaine de délégués venus des quatre coins du monde participer à cet événement et échanger sur l’exercice de notre métier et, plus particulièrement, Mehmet Aksin, TSC, Lukas Teren, SKC, et Angarag Damasuren, MSC, dont la bonne humeur et l’attention m’ont accompagné pendant ces quatre jours.

Dans le portfolio ci-dessous, le Cine Gear vu par Richard Andry et Pascal Lebègue, et l’International Cinematography Summit, par Richard Andry.