De l’influence de Vilmos Zsigmond, vue par trois directeurs de la photographie

AFC newsletter n°261


A la suite du décès de Vilmos Zsigmond, ASC, le quotidien Libération s’est entretenu, dans un article intitulé "Chef op’, c’est matérialiser une vision", avec les directeurs de la photographie Josée Deshaies, Yorick Le Saux et Hélène Louvart, AFC, afin qu’ils « évoquent leur métier au regard de son style unique et de son influence considérable ».

Extrait du début de l’entretien


Le rôle du chef op
Josée Deshaies (a travaillé avec Bertrand Bonello, Denis Côté, Riad Sattouf…) :
« Aujourd’hui, on voit plus de documentaires donnant aux gens un aperçu de comment les films sont faits. Il y a vingt ans, personne, ou presque, n’en avait la moindre idée. Moi-même, il m’a fallu du temps pour réaliser que je voulais être directrice de la photo, et pas réalisatrice. A l’époque, sur les photos, c’était souvent les réalisateurs qu’on voyait poser derrière la caméra. Pour moi, c’était lui l’homme face à la machine, l’homme à la caméra.
Au tout début du cinéma, c’était d’ailleurs une réalité. Et puis, quand la technique s’est complexifiée, on a divisé les tâches, jusqu’à même dissocier directeur de la photographie – en charge de la lumière – et chef opérateur – pour manœuvrer la caméra –, avant que cela ne redevienne un seul et même métier à l’heure de la Nouvelle Vague et du Nouvel Hollywood. Vilmos Zsigmond fut justement un de ceux qui affirma à l’époque qu’il fallait à la fois éclairer ET opérer la caméra.
Quand je dois définir ma fonction sur un film, le mot le plus juste me semble celui de traductrice. Un réalisateur a l’idée d’un film, qu’il a souvent écrit avec des mots, et qu’il nous revient de traduire dans une autre langue, visuelle, qui serait celle du cinéma. »

Hélène Louvart (a travaillé avec Agnès Varda, Nicolas Klotz, Larry Clark…) :
« La place du chef opérateur oblige à travailler en binôme avec le metteur en scène, et c’est celle que je préfère. Pour moi, c’est beaucoup plus intéressant de réussir à matérialiser en images, en lumières, des rêves ou des idées qui ne sont pas les miens, avec mes outils que sont la caméra, l’éclairage, etc.
Ce rôle de concrétisation, qui part de discussions autour d’un – le scénario –, et d’un découpage des plans, mais aussi d’un ensemble de références, de désirs plus ou moins clairement articulés, est génial, ludique aussi. Plus on travaille en adéquation avec les personnes qui réalisent, plus on peut aller loin dans cette recherche : s’il y a une onde d’idées qui viennent du metteur en scène et qu’on peut se mettre à son diapason et qu’on se sent porté, ça va deux fois plus vite, deux fois plus loin. »

Yorick Le Saux (a travaillé avec Olivier Assayas, Jim Jarmusch, François Ozon…) :
« C’est un travail qui repose sur beaucoup de gamberge en amont, afin de trouver les bons réglages, la tonalité juste. Par-delà la question de la conception de l’image, il y a aussi une dimension à ce métier qui a à voir avec la production : accompagner le réalisateur dans la fabrication globale, impliquant de prendre en compte toutes les composantes pour l’aider à ce que le film existe, des besoins des acteurs aux décors, ou aux costumes.
Cela n’existe pas de faire l’image que pour l’image. Il faut être investi, et en même temps rester humble : le travail sur la photo qui va chercher à se faire remarquer, c’est lourdingue, c’est de l’imagerie, de la carte postale. On sent que c’est le fait de gens qui restent dans leur bulle "image", et de réalisateurs qui demandent ça. Alors que ce boulot a de multiples implications.
On fait la photo d’un film en fonction d’un budget, de choix artistiques très vastes. On choisit telle ou telle caméra, telle ou telle lumière pour tourner à l’épaule plutôt que sur pied, pour faciliter le travail de l’ingénieur son ou la direction d’acteurs, ou encore pour tourner en tant de jours. C’est une équation à résoudre, aux multiples paramètres. »

(Propos recueillis par Didier Péron et Julien Gester, Libération, samedi 9 et dimanche 10 janvier 2016)