"Directeur de la photographie, l’esthétisme avant tout"

Entretien avec Jean-Marc Selva, AFC

La Lettre AFC n°263

« Qu’est-ce qu’un Directeur de la Photographie dans le cinéma ? », c’est la question que se pose le quotidien Sud Ouest, dans son édition du 29 février 2016, en faisant découvrir à ses lecteurs ce métier à travers le travail de Jean-Marc Selva, AFC.

Après vous avoir fait découvrir les métiers de doublure voix, traducteur de séries et producteur, partons sur les traces d’une profession du cinéma et de la télévision toute aussi méconnue du grand public, celle de directeur de la photographie. Jean-Marc Selva est loin d’être un inconnu dans ce milieu : on lui doit par exemple les films de cinéma Bhopal, a Prayer for Rain, avec Martin Sheen et Ce que mes yeux ont vu, avec Sylvie Testud, Jean-Pierre Marielle, James Thierrée, le documentaire pour Arte Pierre Boulez, le geste musical et plusieurs "Une maison, un artiste", pour France 5, ou encore le clip de Nolwenn Leroy "Ohwo".

Jean-Marc Selva - DR
Jean-Marc Selva
DR

Sud Ouest  : En quoi consiste donc votre métier ?

Jean-Marc Selva : Il est vrai que c’est un métier mal connu. On croit souvent qu’il s’agit de photographie. Pour faire simple, tout ce qui se retrouve sur la pellicule ou le capteur est de la responsabilité du directeur de la photographie. Il s’agit d’établir une esthétique qui permet de raconter au mieux une histoire. Tout d’abord on doit coller à la réalité imposée par le scénario.
Par exemple, un intérieur nuit dans un restaurant, avec une ambiance plutôt chaleureuse. Le second aspect, plus subtil, est de faire passer inconsciemment dans la tête du spectateur ce qui se passe réellement dans la séquence : le sous-texte. Il va falloir ici suggérer l’impression, appuyer l’émotion de la scène qui se déroule entre les personnages.

Nous avons un éventail de solutions techniques et artistiques qui nous permettent de réaliser tout cela. Le but est de créer un ressenti chez le spectateur. On ne parle pas à sa tête mais à ses tripes. Il faut donc savoir que la bonne image n’est pas forcément une belle image, mais celle qui exprime au mieux le contenu dramatique de la séquence.
Henri Alekan, légende du métier, qui a tourné La Bataille du rail, La Belle et la Bête ou Les Ailes du désir de Wenders disait : « On ne donne pas tant à voir qu’on donne à ressentir. » Cela résume bien le travail de directeur de la photographie.

En pratique, comment se conçoit un film ?

Le réalisateur va insuffler ce qu’il veut raconter dans le film. En lisant le scénario, on a déjà des images qui se forment dans notre tête, on pense déjà à ce que l’on va proposer pour tourner telle ou telle scène. Avec le réalisateur, nous allons détailler chaque séquence. Le but est de lui faire mettre en avant, lui faire dire les mots clés qui vont guider mes décisions.
Le directeur de la photo est aussi un chef de chantier, s’occupant des aspects logistiques, évaluant la faisabilité des choix effectués. On aura beau avoir le plus beau des décors, s’il est inaccessible pour les camions de matériel… Ou encore l’orientation du décor par rapport au soleil.

Il y a trois ans, j’ai été contraint de tourner dans une vallée au Maroc où je n’avais pas de lumière avant 11 heures et où le soleil disparaissait à 15 heures. Cette situation était catastrophique.
Autre exemple, pour une séquence qui doit durer cinq minutes, le soleil n’a pas le temps de tourner et il faut donc faire preuve d’ingéniosité pour qu’à l’écran cela ne paraisse durer que cinq minutes. C’est un empilement de petites décisions très subtiles.

L’esthétique d’un film passe par la lumière, par le travail avec les décorateurs, les costumiers, les maquilleurs bien en amont du tournage. Le directeur de la photo dirige des assistants caméra qui maintiennent la caméra en état de marche, des électriciens chargés de placer l’éclairage et les machinistes qui eux s’occupent de tout ce qui permet de bouger la caméra, les rails, les grues et les fixations particulières.

Le tournage terminé, que se passe-t-il alors ?

Il est souhaitable pour un directeur de la photo de rester en contact avec le monteur. Sur certains films, les images qu’on leur livre peuvent être difficiles à interpréter et ne pas encore refléter toutes les intentions du directeur de la photo. Après le montage et le mixage du son, je récupère le bébé pour le travail d’étalonnage où il sera possible de forcer le trait de certaines scènes.
Par exemple, on peut avoir des cavaliers avec des capuches pour lesquels on ne veut pas à l’arrivée voir le visage, ce qui serait impossible à faire techniquement lors du tournage, même si on leur met du cirage. On va donc appliquer une zone noire numériquement, très précisément, image par image, à la place de la figure des cavaliers pour en faire des hommes sans visage. Ce qui va les rendre encore plus effrayants.
Ce prolongement du travail que l’on a fait lors du tournage permet d’aller plus loin dans la narration. Mais dans tous les cas, il ne faut surtout pas confondre l’outil technique et le savoir-faire d’un directeur de la photographie.

(Propos recueillis par Jean-Michel Selva, Sud Ouest, 29 février 2016)

Le site Internet de Jean-Marc Selva
www.jeanmarcselva.com

Jean-Marc Selva est membre de l’Association Française des directeurs de la photo Cinématographique.

Les formations pour devenir Directeur de la Photographie
Les métiers du cinéma et de la télévision attirent de plus en plus de jeunes. Beaucoup de postulants mais peu d’élus. En France, les établissements les plus renommés sont La fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son), 6 rue Francoeur à Paris, l’Ecole nationale supérieure Louis-Lumière et l’Ecole de la cité de Luc Besson, toutes deux, Cité du cinéma, rue Ampère à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis.