Disparition de Witold Sobociński, PSC (1929 - 2018)

Par Marc Salomon, membre consultant de l’AFC

La Lettre AFC n°293

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Witold Sobociński, PSC, est décédé le 19 novembre 2018, quelques jours après avoir été honoré par un Lifetime Achievement Award dans le cadre du Festival EnergaCamerimage à Bydgoszcz, en Pologne. Jazzman, directeur de la photographie et pédagogue, il aura marqué de son empreinte la cinématographie polonaise au travers de ses collaborations avec les réalisateurs Jerzy Skolimowski, Andrzej Wajda, Krzysztof Zanussi, Wojciech Has, Jerzy Kawalerowicz, Roman Polański...
Roman Polański et Witold Sobociński à Bydgoszcz, le 10 novembre 2018 - Photo : Tytus Žmijewski
Roman Polański et Witold Sobociński à Bydgoszcz, le 10 novembre 2018
Photo : Tytus Žmijewski

Witold Sobociński est né le 15 octobre 1929 à Ozorków, dans la région de Łódź. Il appartient à cette nouvelle génération d’opérateurs (avec Jerzy Lipman, Jerzy Wójcik, Mieczysław Jahoda, Jan Laskowski, Krzysztof Winiewicz) et de cinéastes polonais d’après-guerre (Andrzej Wajda en particulier), pour la plupart issus de la nouvelle école de cinéma de Łódź, créée en 1948.

Entre 1948 et 1960, il est musicien de jazz, jouant principalement du trombone ou de la batterie au sein d’un célèbre orchestre, le légendaire Melomani, fondé par Jerzy Matuskiewicz, époque où le jazz était pourtant interdit par les autorités car il incarnait, à leurs yeux, la décadence de la culture américaine. Matuskiewicz racontera plus tard que la police politique chargée de surveiller les concerts ne connaissait pas grand-chose au jazz et qu’il suffisait de leur offrir de la vodka pour qu’ils ne se préoccupent plus de la suite du concert !

Witold Sobociński, à gauche, à la batterie
Witold Sobociński, à gauche, à la batterie

Sobociński suit en parallèle les cours de la célèbre école de cinéma de Łódź, dont il sortira diplômé en 1955, dans la même promotion que Jerzy Wójcik. C’est dans le cadre des films d’étudiants qu’il seconde ce dernier sur Godzina bez słońca, de Paweł Komorowski en 1955, dans lequel le jeune Roman Polański interprète un rôle. Puis il signe les images de Łodzie wypływają o świcie (Les bateaux partent à l’aube), un court métrage de treize minutes réalisé par Ryszard Ber. Tourné durant trois semaines vers Jantar, dans le delta de la Vistule près de Gdańsk, ce docu-fiction sur une petite communauté de pêcheurs s’inspire ouvertement de La Terre tremble, de Luchino Visconti, et vaudra à Sobociński d’être primé en 1957 dans un festival de films d’étudiants à Moscou.

Ci-dessous  : Łodzie wypływają o świcie, de Ryszard Ber


https://youtu.be/jBYxzweelXY

Entre 1955 et 1959, il travaille comme cameraman pour une télévision locale à Łódź, se lassant vite du statisme des lourdes caméras de studio, puis tourne des documentaires et des films éducatifs pour le studio Czołówka, une production de films militaires à Varsovie, jusqu’en 1966.
Durant cette période, il fut aussi cadreur aux côtés de Krzystof Winiewicz (Czerwone berety, de Pawel Komorowski, en 1962), Jerzy Wójcik (Pharaon, de Jerzy Kawalerowicz, en 1965), Mieczysław Jahoda (Les Codes, de Wojciech Has, en 1966) et Jerzy Lipman (Zosya, de Mikhail Bogin, en 1967).
Malchanceux pour ses débuts comme chef opérateur en 1967 puisque Haut les mains !, de Jerzy Skolimowski, sera interdit par la censure et distribué seulement en 1981.

 Witold Sobociński, en 1967, sur le tournage de "Haut les mains !", de Jerzy Skolimowski
Witold Sobociński, en 1967, sur le tournage de "Haut les mains !", de Jerzy Skolimowski

Witold Sobociński tourne ensuite avec Andrzej Wajda (Tout est à vendre), de nouveau avec Jerzy Skolimowski (Les Aventures du brigadier Gérard), Krzysztof Zanussi (La Vie de famille) et Andrzej Zulawski (La Troisième partie de la nuit). Son travail s’inscrit alors totalement dans la continuité de cette nouvelle vague initiée dès le milieu des années 1950 par des opérateurs comme Jerzy Lipman et Jerzy Wójcik, en rupture avec le classicisme que représentaient leurs illustres prédécesseurs tels Seweryn Steinwurzel et Albert Wywerka. Sobociński ajoutait que sa formation de jazzman et ses improvisations en solo l’avaient très tôt amené à considérer chaque film comme un opus unique nécessitant un traitement photographique différent, enrichi par un sens du rythme qui le distinguait alors de ses confrères.

Andrzej Wajda et Witold Sobociński sur le tournage de "Tout est à vendre", en 1968
Andrzej Wajda et Witold Sobociński sur le tournage de "Tout est à vendre", en 1968
"La Vie de famille", de Krzysztof Zanussi (1970) - Captures d'images d'après DVD
"La Vie de famille", de Krzysztof Zanussi (1970)
Captures d’images d’après DVD

C’est dans cette première moitié des années 1970 qu’il va tourner ses films les plus célèbres, ceux qui lui vaudront une reconnaissance internationale : le style flamboyant et virevoltant des Noces (A. Wajda, 1972) où la caméra est tenue par Sławomir Idziak, l’univers onirique et le bric-à-brac d’une grande créativité formelle de La Clepsydre (W. Has, 1973), le réalisme mâtiné de lyrisme de La Terre de la grande promesse (A. Wajda, 1974).

"Les Noces", d'Andrzej Wajda (1972) - D'après scan copie 35 mm
"Les Noces", d’Andrzej Wajda (1972)
D’après scan copie 35 mm
"La Clepsydre", de Wojciech Has (1973) - Captures d'images d'après DVD
"La Clepsydre", de Wojciech Has (1973)
Captures d’images d’après DVD

Suivront La Mort du Président (Jerzy Kawalerowicz, 1977), Les Chemins de la nuit ( Krzysztof Zanussi, 1979), L’Hôpital de la transfiguration (Edward Zeborwski, 1979), Widziadlo (Marek Nowicki, 1983) avant que Sobociński ne retrouve Roman Polański, trente ans après l’école de Łódź, avec Pirates, en 1986, et Frantic, en 1988.

"L'Hôpital de la transfiguration", d'Edward Żeborski (1978) - Captures d'images d'après DVD
"L’Hôpital de la transfiguration", d’Edward Żeborski (1978)
Captures d’images d’après DVD

Ses dernières années d’activités derrière la caméra furent comme un retour aux sources puisqu’il signa les images d’un film sur le jazz (Il était une fois le jazz, de Feliks Falk), partagea le crédit avec l’Italien Dante Spinotti sur Les Eaux printanières, de Jerzy Skolimowski, avant d’être appelé par son camarade de promotion Jerzy Wójcik, passé à la réalisation, afin d’assurer la mise en images de Skarga, en 1991, et de Wrota Europy, en 1999.

Jerzy Wójcik et Witold Sobociński sur le tournage de "Wrota Europy"
Jerzy Wójcik et Witold Sobociński sur le tournage de "Wrota Europy"

Rappelons enfin que Witold Sobociński était le père de Piotr Sobociński, talentueux directeur de la photographie, prématurément disparu à l’âge de 43 ans (1958 - 2001) auquel on doit, entre autres, les images du Décalogue #3 et #9 et de Trois couleurs : Rouge de Krzysztof Kieślowski.
Piotr Sobociński Jr. et Michał Sobociński, fils de Piotr et petits-fils de Witold, perpétuent aujourd’hui la tradition après être passés à leur tour par l’école de Łódź, où leur grand-père enseignait depuis le milieu des années 1980.

  • Les Noces, d’Andrzej Wajda, fait partie des 100 films sélectionnés dans l’album Making Pictures : A Century of European Cinematography, publié par Imago en 2003.
  • Dans son numéro de mars 2003, l’American Cinematographer a consacré un article à la carrière de Witold Sobociński à l’occasion de la remise d’un "ASC International Achievement Award".