Edmond Richard, un grand technicien, un homme simple

Par Philippe Tourret

AFC newsletter n°290

Jeune étalonneur chez Eclair à la fin des années 1970, la silhouette d’Edmond, à la fine moustache et l’inamovible casquette, m’est vite devenue familière. Je ne me rappelle pas précisément la première fois que je l’ai vu mais j’imagine avoir demandé à Olivier Chiavassa s’il s’agissait bien d’un client (en gros s’il fallait faire gaffe à ce que l’on dit ou fait !).

Car Edmond ne ressemblait pas aux quelques professionnels que j’avais pu croiser jusque là ni à l’idée que je me faisais des gens du cinéma. Alors quand j’ai appris qu’il avait fait la photo d’un de mes Orson Welles préférés et qu’il était le chef op’ de Buñuel, je n’en revenais pas de le côtoyer si simplement au labo.
J’ai vite compris qu’on ne le traitait pas comme ses collègues, encore moins en client : en fait Edmond était chez lui chez Eclair (pas étonnant puisqu’il a commencé chez Debrie puis a travaillé avec Coutant), il connaissait tout et pratiquement tout le monde, il avait ses entrées partout, développement négatif, sensito, 1er positif, montage négatif, tirage… et bien sûr l’étalonnage.
On pouvait le retrouver dans les couloirs sombres du tirage, faiblement éclairés de rouge, en train de "suivre" lui-même ses bobines d’essais ou de discuter avec une "tireuse" ou une "essuyeuse".

Comme il aimait bien parler, de son travail et de celui de ses collègues, il pouvait débarquer à tout moment, s’installer avec nous dans une salle de projection pendant que nous visionnions un premier tirage de rushes sans que cela pose un quelconque problème. Si la porte en s’ouvrant nous déconcentrait de notre travail, on se calmait tout de suite en reconnaissant Edmond et on se disait : « Tiens, voilà Martin Pêcheur ! ». C’était le surnom amical qu’on lui donnait au labo.
Curieux de tout, il aimait voir les images des autres et partager nos interrogations sur la meilleure manière de les étalonner. Mais c’est sur son propre travail qu’il portait parfois un jugement sévère, nous demandant de rattraper telle ou telle erreur qu’il aurait faite (par exemple sous la pression Mockyeste !).
Précurseur du numérique (des "patates") il nous expliquait volontiers sa "poursuite" sur les yeux de Louis de Funès destinée à les rendre plus bleus.

Pendant mes dix années d’étalonnage photochimique, je ne me souviens avoir vraiment travaillé avec lui que sur deux films : Les Misérables, de Robert Hossein (pour les rushes seulement), et A mort l’arbitre, un des meilleurs Mocky, à l’étalonnage, dont j’ai le souvenir d’une projection de rushes épique à Joinville alors qu’ils tournaient de nuit dans les tout récents "camenberts" de Marne-la-Vallée.

Edmond était un grand technicien (sa formation y est bien sûr pour beaucoup), un homme simple et souvent très drôle. Mais pour le cinéphile que je suis, sa riche filmographie pourrait se limiter à quatre collaborations, avec des personnalités extraordinairement fortes, qui resteront dans l’histoire du cinéma : français avec de Funès et Mocky, mondial avec Welles et Buñuel.
Rien que ça !

Philippe Tourret a été étalonneur chez Eclair pendant de nombreuses années.