Les sociétés françaises d’effets spéciaux à l’honneur dans la presse

Effets spéciaux : les Français novateurs

par Nicole Vulser

Le Monde, 29 janvier 2008

Première dans les effets spéciaux : quatre des plus grosses sociétés du secteur en France, Mikros Image, Buf Compagnie, Duboi et L’EST ont œuvré ensemble sur les effets spéciaux d’Astérix aux Jeux olympiques, en faisant travailler pendant dix-huit mois jusqu’à 200 techniciens.
Pour réduire au maximum le temps de la postproduction, chacun était chargé d’une tâche précise : Duboi a développé les extensions du décor ; Buf Compagnie a assuré les travaux liés à la figuration 3D ; Mikros Image a traité les cascades, tandis que l’ a assuré une supervision générale des effets visuels. (Duboi, L’EST et Mikros Images sont membres associés de l’AFC. NDLR)

Les effets spéciaux, tout en offrant des images spectaculaires, permettent de contenir le coût d’un film. Dans la saga d’Astérix, il s’agit d’effets visibles, liés à la potion magique, ou invisibles, comme la création d’une innombrable armée virtuelle aux ordres de Brutus ou la multiplication de milliers de figurants présents dans le stade. Sans ces artefacts, il aurait fallu embaucher 2 500 figurants habillés et coiffés pendant plus de dix semaines. Dans la même veine, aucun des décors n’a été construit en entier : il a fallu réaliser en images de synthèse le palais de César, un village olympique, le port du Pirée... Comme dans le théâtre de Beckett, des marquages au sol indiquaient aux comédiens où allaient se situer des murs virtuels.
Les effets spéciaux ont également permis d’éviter de fastidieux tournages de nuit ou de levées de soleil, trop rapides pour les cinéastes – les nuits et les aubes ont été jouées en studio.

Les effets spéciaux sont d’autant plus précieux qu’ils abaissent le coût du film. « Nous sommes restés dans le ratio classique, jamais plus de 10 % du budget du film », a déclaré Christian Guillon, directeur des effets visuels à l’EST, lors de ParisFx, le premier Salon récemment consacré aux effets spéciaux à Paris.
L’industrie des effets spéciaux en France est un petit secteur rentable, estimé à 110 millions d’euros de chiffre d’affaires pour une croissance annuelle de 10 %, selon la Ficam, le syndicat des industries techniques du cinéma. Une de ses caractéristiques est d’employer beaucoup de jeunes, surtout des intermittents du spectacle, dont les formations sont reconnues dans le monde entier.

Chaque année, près d’un millier d’étudiants sortent de plusieurs écoles - Supinfocom, les Arts décoratifs, les Gobelins, Annecy, Valenciennes... Bon nombre d’entre eux sont démarchés dès leur diplôme en poche, pour s’exiler à Londres ou à Hollywood. « Sur les cinquante personnes-clés qui travaillent chez DreamWorks Animation, à Hollywood (on leur doit, entre autres, Shrek), une petite vingtaine sont françaises », souligne Eric Bergeron, qui y a réalisé Le Gang des requins. Buf Compagnie a également signé certains effets spéciaux de Batman Begins de Christopher Nolan, de la saga Matrix, d’Harry Potter et la Coupe de feu...
Pourtant, les entreprises françaises peinent à s’imposer sur le marché international. « Les effets spéciaux français sont caricaturés comme " la " référence des nouvelles technologies facilement exportables. C’est une plaisanterie !, s’insurge Pierre Buffin, PDG de BUF Compagnie. Contrairement au Canada, à la Grande-Bretagne ou à l’Allemagne, la France est très en retard pour attirer les productions internationales. »

Ce retard viendrait du trop faible soutien de l’Etat, notamment en termes de fiscalité. Et les Français seraient donc trop chers. « Quand nous démarchons aux Etats-Unis, les studios considèrent que les Français sont techniquement et artistiquement bons, mais l’aspect financier bloque, explique Maurice Prost, PDG de Mikros Image. La parité euro-dollar nous pénalise, mais surtout la France est l’un des rares pays en Europe à n’offrir aucun avantage fiscal. »
En Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Espagne, les aides représentent entre 20 % et 30 % des sommes investies localement par les producteurs, essentiellement américains. Alors qu’en France, dénonce Pierre Buffin, les pouvoirs publics « aident ce qui est en train de mourir, mais pas ce qui est en train de naître ».

Le secteur est en croissance, ajoute ce dernier, uniquement en raison d’affinités avec des réalisateurs américains et, plus prosaïquement, de l’utilisation beaucoup plus répandue des effets spéciaux dans les films. « Parfois, cela représente plus de 30 % du travail du chef opérateur. Les réflexes de tournages ont changé : s’il pleut, le ciel sera gommé ensuite », explique Pierre Buffin.
Selon Jacques Bled, PDG de Mac Guff Line, « l’un des gros problèmes est la rentabilité insuffisante et la difficulté à investir dans la recherche et le développement. C’est en décrochant d’importants contrats que nous avançons technologiquement, alors qu’il faudrait pouvoir être déconnecté de ces productions ».

Plus optimiste que la majorité des professionnels, Thierry de Segonzac, coprésident de la Ficam, parie sur un fort développement de la filière grâce au retournement positif du marché publicitaire, à l’intégration plus répandue des effets spéciaux dans le cinéma et à des mesures fiscales comme le déplafonnement du crédit d’impôt cinématographique français et son élargissement à l’international.
Toujours repoussée, cette mesure, qui permettrait d’attirer en France des gros films hollywoodiens, est d’autant plus urgente que des pays comme l’Inde ou la Chine montent en puissance dans le secteur.

(Nicole Vulser, Le Monde, 29 janvier 2008)