En mémoire de Rémy Julienne

Par Pierre-William Glenn, AFC, et Gilles Porte, AFC
Connu de la planète cinématographique pour ses mille et une cascades réglées au millimètre et à la seconde près, tels que sur La Grande vadrouille, L’or se barre ou six James Bond, entre autres films spectaculaires, Rémy Julienne, formé par le cascadeur Gil Delamare dont il poursuivra le travail, s’est éteint, jeudi 21 janvier 2021, à l’âge de 90 ans. Pierre-William Glenn, AFC, et Gilles Porte, AFC, témoignent, dans les deux textes suivants, en souvenir de ce qu’ils gardent en mémoire de cet artiste à la personnalité peu commune.

Qui n’a rêvé de rencontrer ce fou des deux, quatre ou huit roues ? Ce Rémy Julienne qui nous aura fait à tous attraper les bras de notre fauteuil au cinéma, tétanisés par ce qui se passait sur l’écran ?
Pour ma part, j’ai eu la chance de faire sa connaissance au tout début de ma carrière de chef opérateur, à l’âge de 25 ans. Malheureusement, je n’ai participé qu’à une cinquantaine de ses 1 400 contributions cinématographiques. Chaque fois, j’ai apprécié ce grand monsieur, d’une gentillesse et d’une sollicitude étonnante.
Que de blessures n’a-t-il subi, qui n’étaient pas de petits bobos ! Que de volonté et de courage pour reprendre le travail avant même d’être parfaitement remis !
Et sur le plan artistique, que d’imagination dans la mise en scène ! De la dentelle, dans la chorégraphie ! Rémy, pionnier d’un réel qu’aujourd’hui on aurait tendance à faire en postproduction à partir d’un dessin.
Ces plans de voitures qui se croisent dans les airs, incroyable que ce soit "pour de vrai" ! Et pourtant...

Rémy Julienne, au côté de Pierre-William Glenn, lors de sa Master Class au French Film Festival de Richmond (Virginie, Etats-Unis), en 2015 - Photo Pierre Courtois / French Film Festival
Rémy Julienne, au côté de Pierre-William Glenn, lors de sa Master Class au French Film Festival de Richmond (Virginie, Etats-Unis), en 2015
Photo Pierre Courtois / French Film Festival

Cet amour du vrai, Rémy le pratiquait jusqu’en amitié. J’ai eu la chance d’être du nombre.
Pour finir, je tiens à célébrer sa rare élégance morale dans l’unique accident mortel de sa carrière sur un tournage, quand il a pris sur lui des responsabilités qui ne lui incombaient pas et en a payé le prix. Ceux qui savent comprendront. Je fais mienne sa discrétion.
Avec tout mon amour,
Pierre-William Glenn, président d’honneur de l’AFC

Cher Rémy,
Quand on me demandait, enfant, ce que je voulais faire, je répondais toujours : « Cascadeur ! »… C’était une évidence !
C’était à cause de tes prouesses qui transformaient de simples acteurs en icônes immortels.
Quoiqu’il en soit, le fait d’avoir des parents médecins a orienté ma carrière différemment... Comment ne pas les comprendre ? A l’école, certains m’appelaient Frankenstein à cause du nombre de points de sutures que j’avais sur le corps...
Pour être honnête, aucun de mes accidents n’étaient dus au hasard… C’était à chaque fois un mauvais calcul de ma part... En haut d’un escalier, sur des skis, un plongeoir ou en moto…
Bref, tu ne m’aurais jamais accepté dans ton équipe, toi qui passais ton temps à calculer au millimètre « si ça passait ou pas » (sic).
Savoir plonger avant de savoir nager est une anecdote que je peux raconter aujourd’hui uniquement parce que j’ai eu la chance d’être bien accompagné, mais choisir une profession parce qu’il me manquait une case au départ eut été une chose bien différente !
J’en ai réellement pris conscience lors de notre première rencontre. C’était autour d’une Mercedes qui devait traverser la vitrine d’un restaurant… J’avais été très impressionné par le professionnalisme dont les membres de ton équipe et toi faisaient preuve… Tu ne laissais rien au hasard, évidemment... Comment cela aurait-il pu être le contraire ?
Aujourd’hui, quand je filme une cascade, je considère chaque fois comme un énorme privilège le fait d’être le premier spectateur et le premier complice de cet instant cinématographique. En choisissant une focale avec vous, les cascadeurs... En décidant de la hauteur de la caméra, de sa vitesse, de son emplacement, j’ai chaque fois un peu l’impression d’être dans votre équipe… Merci à toi d’avoir toujours eu l’élégance de me l’avoir fait croire et l’intelligence de ne jamais m’avoir vraiment écouté...
Combien de Rémy Julienne as-tu formé ? Combien de vocations as-tu fait naître sans jamais aucune distinction de sexe ? Combien de spectateurs as-tu fais rêver en te posant sur le toit d’un train, les ailes d’un avion, le dos d’un cheval ou dans les entrailles de bagnoles qui partaient en toupie sur d’immenses écrans blancs encore plus en deuil depuis que tu nous a quittés.
Ça fait bien "chier" que tu sois parti, Rémy, parce que j’avais encore plein de conseils à te demander, non pas pour ne pas tomber mais pour mieux me relever.
J’ose à peine imaginer ce que tu vas pouvoir inventer au-dessus des nuages maintenant ! Etait-ce un hasard si, lorsque j’ai appris ton décès, la neige s’est mise à tomber ?
En tous les cas, je tenais à te dire que la première chose que j’ai faite, à la vue des flocons, a été d’immobiliser ma moto parce que tu m’as appris que la force d’un grand cascadeur, c’était toujours de mesurer le risque dans lequel il s’engageait et dans lequel il engageait celles et ceux dont il avait la responsabilité.
Tu aurais pu être acteur avec ta tronche. Tu as préféré être leurs doublures et t’éclipser à 90 ans…. 90 années à passer à travers tous tes numéros ! Chapeau l’artiste !
Gilles Porte, président de l’AFC


https://youtu.be/GZwRiHT9t5Q

En vignette de cet article, Rémy Julienne, à Cannes en 2016 - Photo CST