En souvenir de Raoul Coutard, quelques chefs opérateurs de l’AFC témoignent

La Lettre AFC n°270

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Dans la suite de cet article, les directeurs de la photographie Richard Andry, Jean-Jacques Bouhon, Céline Bozon, Jean-Noël Ferragut, Pierre-William Glenn, Pierre Lhomme, Baptiste Magnien, Gilles Porte et Jean-François Robin, entre autres membres de l’AFC, font part en quelques mots de ce que rappelle à leur mémoire le souvenir de Raoul Coutard et de sa personnalité.

- Lire ou relire un texte de Richard Andry, AFC, publié sur le site au moment de Camerimage.

- Mon cher Raoul,
Nous sommes profondément tristes.
Avec Monique, ta merveilleuse compagne, tu nous avais reçus, Priska Morrissey, six étudiants de La fémis et moi, les 11 et 12 mai dernier, dans votre maison au Boucau et nous gardons un souvenir inoubliable de la générosité et de la chaleur de votre accueil. Nous étions venus pour enregistrer un entretien sur ta carrière, et ta faconde, ton franc-parler, ta joie de transmettre et ton humour avaient conquis et ému les étudiants, qui sont bouleversés de la méchante nouvelle. Tu les appelais « les petits » avec toute l’affection qu’on peut mettre dans ce terme.
Salut l’artiste, tes images sont immortelles et nous irons revoir à la Cinémathèque, dans la belle exposition sur le matériel de cinéma, la superbe séquence du début du Mépris qui est projetée en boucle en 35 mm sur grand écran. On peut t’y voir manipuler la Mitchell aux manivelles dans un mouvement cinématographique qui restera dans les mémoires. C’est l’image que nous voulons garder de toi.

Chère Monique, grâce à votre bienveillance, nous avions presque l’impression de faire partie de la famille pendant ces deux jours trop courts.
Nous pensons très fort à vous et à Sylvie et nous vous embrassons le plus affectueusement du monde.
Jean-Jacques Bouhon, AFC, et les "petits" : Maéva Bérol, Aurore Toulon, Clément Fourment, Emmanuel Fraisse, Till Leprêtre et François Ray

- Coutard, pour moi, c’est Le Mépris, j ai 15 ans, je suis au cinéma Opéra près de chez mes parents à Lyon. C’est un immense choc, je ne sais pas encore si j’en suis revenue aujourd’hui. Ulysse, le névrosé moderne, toute ma vie je tourne autour de cette question : être Ulysse ou Pénélope, fuir ou rester…
Le souvenir du visage de Bardot au moment de la "vexation", ce moment où tout vacille, où l’on perd pied et qu’on fait tout pour oublier au plus vite.
Et puis les couleurs, le soleil, la sensualité, l’intelligence, la vigueur de ces images.
Merci à lui. D’avoir été là.
Céline Bozon, AFC

- Voir et décortiquer, en long, en large et en travers, avec de jeunes stagiaires malgaches tout feu tout flamme cinématographiquement parlant – comme il m’a été donné de le faire il y a quelques années dans ce décor de cinéma qu’est la ville d’Antananarivo –, les images du film de Jacques Demy Lola demeure, j’en suis certain, l’une des plus belles leçons de cinéma à laquelle on puisse imaginer d’assister. Chapeau bas, cher Raoul, pour tant de prise de risques et de photogénie qui ne manqueront pas de laisser pantois encore longtemps bon nombre de praticiens, opérateurs à la machine ou chefs, qu’ils aient dix-sept ou soixante-dix-sept ans…
Grand merci à toi et surtout, repose en paix, lumineuse si possible !
Jean-Noël Ferragut, AFC

- J’avais la plus haute estime pour Raoul Coutard. Il était ma référence de disponibilité créative, de moralité et de talent. Aussi irrévérencieux et drôle que fidèle, il symbolise l’arrivée d’une autre génération de chefs opérateurs et je lui dois beaucoup. Ne serait-ce que d’avoir pu utiliser son matériel sur mes premiers courts métrages et d’avoir pu travailler avec son chef électricien, le grand Fernand Coquet, puis avec son fils Franck. Je perds un membre éminent de ma famille de cœur qui a été plus qu’un guide, un ami.
Pierre-William Glenn, AFC

- Je sortais de Vaugirard, lui, l’Ami Coutard, faisait son apprentissage dans l’armée à l’époque de la triste guerre d’Indochine. Nous partagions l’amour du "Cinoche". On ne peut pas oublier le coup de tonnerre d’A bout de souffle qui nous avait heureusement affranchis de nombreuses conventions mais aussi submergés de petits Godard bien souvent adeptes d’un pseudo cinéma. Nous nous aimions bien avec Raoul, un peu comme chiens et chats.
Si possible, bon voyage Raoul et à bientôt.
Pierre Lhomme, AFC

- Je n’ai pas eu le plaisir de côtoyer Raoul Coutard mais je l’ai croisé dans des circonstances peu banales et pourtant révélatrices de sa conception du métier. Je tournais au Motion Control une pub pour Volkswagen sur le plateau équipé du Fisher-light à Suresnes avec Pascal Marti comme chef opérateur, le réalisateur devait enchaîner sur un autre film que Pascal ne pouvait pas faire.
Raoul avait été approché et devait venir sur le plateau pour un premier contact. Connaissant sa venue prochaine, la fébrilité se sentait sur le plateau.
On a vu arriver un homme en imper beige tenant dans la main une feuille de papier : son CV tapé à la machine, façon demande de stage, les années, les films...
Sacré souvenir ! Sacrée leçon !
Baptiste Magnien, AFC

- Merci, Monsieur Raoul Coutard, de m’avoir donné un jour envie de créer du mouvement avec une caméra ou d’imaginer la fixité d’un cadre au service d’une histoire !
Gilles Porte, AFC

- Raoul Coutard, je connaissais son travail mais pas l’homme. Pourtant je me souviens de la toute première réunion préparatoire sur l’éventuelle création d’une AFC qui avait eu lieu au CNC dans des années lointaines. Nous étions huit ou neuf et Raoul Coutard, qui avait été convié, avait fait dire qu’une association d’opérateurs, il n’en avait rien à f… J’avais beaucoup aimé cette manière d’affirmer son indépendance, elle ne l’a jamais quitté. Je salue la mémoire de cet homme qui a révolutionné notre travail en affichant toujours sa volonté de rester en dehors du sérail. Heureusement "ses films" restent, alors revoyons-les avec amitié et respect.
Jean-François Robin, AFC