Enquête sur un scandale d’État
Paru le Contre-Champ AFC n°328
Thierry était plus intéressé par la relation entre le journaliste et sa source que par l’enquête proprement dite, par les multiples points de vue, par les mécanismes politiques et médiatiques que par le trafic de drogue, par la parole que par l’action. Son travail est toujours très documenté mais jamais documentaire. Il aime que les personnages fassent le récit et non l’inverse.
Nous avons beaucoup questionné et défendu le format 1.33. Il a quelque chose de mental, d’hypnotique qui plaisait beaucoup à Thierry. Il participe aussi à cette volonté de ne pas jouer sur l’identification aux différents personnages mais plus sur la sensation. Ce format nous semblait permettre de moins découper tout en reliant les choses par le mouvement. On aimait comment cela cadre les scènes de groupe et isole les personnages. Enfin c’est un choix plastique, un format que Thierry aime qui participe aussi à contredire le naturalisme.
Après des essais, j’ai fait le choix de tourner en Sony Venice avec des Primo 70 pour notamment la précision, la couleur et la profondeur dans l’image. Ces essais m’ont permis de commencer à définir le contraste, la saturation et la nature des noirs. J’ai fait de nombreux allers-retours pour définir des LUTs adaptées à la diversité des décors et des situations lumineuses. J’ai finalement encore modifié ces LUTs en cours de tournage, comprenant au fur et à mesure le bon équilibre entre les mélanges chaud/froid cumulés à la valeur de saturation générale. C’était assez fastidieux de faire modifier les rushes précédemment tournés en milieu de tournage mais je trouve important de ne pas lâcher à cet endroit, de pouvoir continuer à chercher, et que les rushes soient au plus près de ma vision du film.
A la fin du tournage, il m’a paru évident qu’il fallait réduire la saturation en ne touchant qu’à certaines couleurs, à certains niveaux de saturation, comme les verts de la nature et les roses, violets et bleus des boîtes de nuit et bars. Une manière sûrement de donner une unité au film, de palier aussi aux limites d’intervention sur les décors réels choisis.
En lumière, il fallait en général intégrer, cacher les projecteurs ou travailler sur la lumière existante pour que les lieux puissent continuer à vivre, et ne ressemblent pas à un plateau de cinéma.
La recherche des décors a été longue et s’est même poursuivie pendant le tournage qui a duré 39 jours et s’est étalé du 23 août 2019 au 7 mars 2020. Thierry aime à continuer à préparer tout au long de la fabrication du film en alternant idéalement des blocs de tournage et des périodes de préparation.
Pour les scènes à Libération, par exemple, nous avons ensemble assisté à plusieurs comités de rédaction. Puis des acteurs ont incarné les journalistes. Ils jouaient la scène dans sa durée presque réelle. Nous avons fait le choix de filmer à une seule caméra avec un travelling circulaire et de travailler sur l’immersion, s’intéresser à la parole qui circule autant qu’à l’écoute et la dynamique de groupe.
On a beaucoup cherché la fluidité dans les scènes. Thierry aime filmer des blocs de temps (même s’ils peuvent être coupés au montage). Il cherche le souffle de la scène, une expérience collective. Chaque scène, chaque décor a sa propre tension, son propre tempo. Il laisse toujours les scènes se déployer, travaillant l’énergie de chaque scène par le corps des acteurs et le mouvement de la caméra. La durée mais aussi la bonne distance permettant de ne pas juger, de laisser rentrer les contradictions humaines.
Une grande majorité des plans a été tourné au 65 mm qui est devenu assez vite la focale du film. Comme si, associé au 1,33, le film imposait un cadre, une rigueur, un point de vue.
Il y a toujours beaucoup d’images, de documents, de sons échangés avec Thierry. Il envoie notamment un moodboard par séquence avant de tourner. On a aussi vu et revu ensemble des films qui nous ont inspirés, qui nous ont aidés à préciser nos sensations. Deux films m’ont particulièrement marquée : Erie, de Kevin Jerome Everson, et Parsi, de Ted Williams.
Nous avons testé différents systèmes notamment de stabilisation pour se déplacer en gardant cette idée de fluidité. Le bombardier de Next Shot et des travellings moto (Gilles Conseil) ont été utilisés pour les plans de scooter dans Paris et le Stab One M2 notamment pour le plan de l’arrivée de la drogue en Espagne. J’ai pris beaucoup de plaisir à chercher et à cadrer ces longs plans.
C’est pour la séquence du procès que nous avons tourné les prises les plus longues. Nous avons installé un plancher qui se fondait dans le décor et qui permettait un demi-cercle de travelling combiné à des panoramiques et à l’utilisation d’un zoom (Sony 70-200). Nous avons beaucoup discuté en amont de la place de la caméra, des places de la caméra. Nous avons tourné trois prises d’une heure chacune.
Il y a quelque chose de performatif dans le cinéma de Thierry. Très peu de prises donc mais très préparées, très chorégraphiées. Je cherchais toujours une part de liberté, ne rien figer. Je me laissais vivre chaque prise, garder la sensation d’assister à la scène en temps réel, d’être surprise tout en connaissant par cœur son déroulé. C’est vraiment une expérience physique qui nécessite une grande disponibilité et énormément de concentration. Une équipe aussi soudée et attentive, équipe que je remercie vivement.
Bande annonce officielle
Équipe
1er assistante opératrice : Sarah Dubien2e assistante opératrice : Noémie Commissaire
Chef machiniste : Marc Wilhelm
Chef électricien : Baptiste Imbert
Technique
Matériel caméra : Panavision (Sony Venice, Primo 70)Machinerie : Panagrip, Next Shot
Lumière : Panalux
Laboratoire : M141
Etalonneur : Christophe Bousquet