Enterrée, la numérisation des films ?

Par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°224

Le Monde, 26 septembre 2012

C’est le président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Eric Garandeau, qui le dit : le chantier de la numérisation des œuvres du patrimoine, qui vient à peine de commencer, pourrait être l’une des premières victimes de l’austérité budgétaire, dans le domaine de la culture.

Le budget du CNC devrait avoisiner 700 millions d’euros fin 2012. Certes, il est en recul par rapport à 2011 (806 millions d’euros), mais la bonne santé financière du CNC n’a jamais laissé le ministère des finances indifférent. Il va être mis fortement à contribution pour l’année 2013 : environ 150 millions d’euros pourraient être prélevés sur son fonds de roulement. Le montant officiel sera rendu public, vendredi 28 septembre, lors de la présentation de la loi de finances, laquelle sera ensuite débattue au Parlement.
« Ces 150 millions d’euros, c’est justement la réserve dont nous disposons pour dresser l’inventaire des œuvres, les restaurer et les numériser », déclare au Monde Eric Garandeau. « Cette enveloppe sert aussi à soutenir le passage au numérique des petites salles de cinéma, et des circuits itinérants. Ces chantiers risquent de passer à la trappe, ou bien il va falloir ralentir le calendrier, et rééchelonner les contrats. »
Le président du CNC se bat par ailleurs sur le front bruxellois, la Commission européenne s’opposant à diverses aides au cinéma français, emblématiques de l’exception culturelle. « En revanche », ajoute-t-il, « on continue à développer la cinémathèque en ligne, qui est un outil d’éducation artistique »".
La numérisation d’un film coûte environ 100 000 euros, les sommes pouvant varier d’une œuvre à l’autre, selon l’état de la pellicule, etc. Deux dispositifs de soutien sont à la disposition des ayants droit d’une œuvre : d’un côté, le grand emprunt, de l’autre le dispositif du CNC pour les films les plus fragiles qui n’ont pas, a priori, de perspectives de rentabilité en salles. Ce sont ces derniers qui pourraient faire les frais de la rigueur budgétaire.
Le Festival de Cannes paraît bien loin. Au mois de mai, le film d’Agnès Varda Cléo de 5 à 7 (1962), en version restaurée et numérisée, était projeté en grande pompe : c’était le lancement officiel du chantier de la numérisation du CNC. En juillet, à l’issue d’une commission de sélection, le CNC annonçait la restauration d’une dizaine de courts et de longs métrages, parmi lesquels Le Joli Mai (1963), de Chris Marker, Mon oncle (1958), de Jacques Tati, ou encore Avoir vingt ans dans les Aurès (1972), de René Vautier, lequel sort en salles le 3 octobre.

La restauration des œuvres du patrimoine, sur copie 35 millimètres, par exemple, est une aubaine pour les industries techniques du cinéma, fortement déstabilisées par le passage au numérique, et la disparition progressive de la pellicule de film. « Si le chantier devait maintenant s’arrêter, ou ralentir, ce serait très dommageable pour l’ensemble du secteur », souligne Thierry Forsans, patron des laboratoires Eclair.
« La restauration des œuvres et leur numérisation permettent aussi de développer l’offre légale en ligne, qui est l’un des axes de la mission de Pierre Lescure. On se retrouve dans un système ubuesque : on risque d’arrêter un dispositif qui sert à en développer un autre », s’étonne Hervé Châteauneuf, délégué général de la Ficam, Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia. Les professionnels du cinéma auront la réponse vendredi.

(Clarisse Fabre, Le Monde, 26 septembre 2012)